Derniers articles

mercredi 6 mai 2015

La loi du silence

Depuis la sortie de Mots rumeurs, mots cutter, je reçois régulièrement des demandes d'interviews en lien avec le cyber-harcèlement (le drame de la semaine dernière en est d'ailleurs une conséquence). On me demande pourquoi cela me touche, si c'est du vécu, si j'ai fait des recherches, mais également pourquoi Léa, l'héroïne du roman graphique, ne parle pas - à ses parents, à des adultes bienveillants et s'il existe des solutions.
Ce matin, en répondant au "pourquoi Léa ne se confie-t-elle pas?", l'un des premiers trucs qui m'a sauté à l'esprit, c'est "la loi du silence". Quand on est petit, on apprend que "rapporter, c"'est mal", que ce sont les "fayots", chouchous" et autres petits être chafouins et mesquins qui le font, qu'on ne dénonce pas ses copains, quitte à récolter une punition/ heure de colle collective. En somme, qu'on la ferme. Quand on est exclu, on perd peu à peu toute estime de soi, on se noie dans une solitude de plus en plus prégnante, on est isolé - mais la plupart du temps, peut-être par une espèce de processus complètement délirant qui s'apparenterait au syndrome de Stockholm, ce qu'on veut, c'est retrouver le groupe, être accepté (je dirai, quelque part, qu'être bouc émissaire, c'est d'une certaine façon avoir un rôle à jouer). Or, la règle n°1 du groupe, c'est... de ne pas trahir. Ça ressemble un peu à l'armée. Loi du silence. Ce qui se passe dans la caserne reste dans la caserne.
Parfois, on est au-delà de cela. On est si mal qu'on ne sait plus parler ou comment exprimer sa souffrance, comme l'exprimer avec des mots, en tous cas. On se renferme, on se recroqueville, on disparaît peu à peu. On met un mur entre soi et les autres - un mur si épais que les parents ne savent plus comment le franchir. Et quand il le franchissent, parviennent à obtenir des confidences, vont au collège s'entretenir avec d'autres adultes (principal, profs, parents du ou des harceleurs), le résultat est parfois à l'inverse de ce qui était espéré : la victime a trahi ses bourreaux, est encore plus ostracisée. Les adultes sont débordés, indifférents, mal à l'aise, pas toujours capables de réagir.
Ce matin, je me suis rendu compte, ou plutôt, j'ai mis des mots sur le fait qu'à la source du cyber-harcèlement, il y avait le harcèlement tout court. Et que ce harcèlement était un monstre multiforme : à l'école, au travail, moral, etc. dont la nature demeurait la même : la victime et les bourreaux, l'individu et le groupe, le bouc émissaire, la fragile frontière entre le bien et le mal, la soumission à l'autorité...
Soit un groupe d'individus donnés. L'un devient la cible des autres, pas de tous mais d'une ou deux "fortes têtes", qui se veulent plus charismatiques, mais sont juste en général plus méchants et plus brutaux que les autres. Rapidement, il est ostracisé. Mis à l'écart. On se moque de lui, on le bouscule. Ceux qui ne sont pas d'accord ont honte de ne pas agir et de baisser les yeux, mais comme le bouc émissaire les renvoie à leur propre lâcheté, ils l'évitent encore plus... Sans compter que les enjeux sont parfois élevés : une vie sociale (au lycée, ça compte^^), un travail (voir un collègue ou un ami malmené, mais ne rien pouvoir dire de peur de perdre son job), etc.
La loi du silence, donc.  Ou de la tête baissée.
Humaine avant d'être adolescente.
Vous me direz, avec le cyber-harcèlement, il y a autre chose. les harceleurs sont derrière leur écran, ils détruisent pour le plaisir, ils assassinent à distance. Ils n'ont plus l'excuse du regard de l'autre, puisqu'il n'y a pas de regard du tout. Ben là, je dois avouer... Je suis sèche. Pas de réponse, pas de piste en dehors de celles des mots qui se finissent en "pathes" (socio, psycho). Parce que je ne suis pas sûre qu'avec tout ce qui circule sur le Net à ce sujet, les bourreaux du Net ne soient pas conscients du mal qu'ils font...

Mini biblio, de mémoire, sur ces thèmes : Frangine de Marion Brunet, Une sonate pour Rudy, de Claire Gratias, Un si fragile vernis d'humanité, de Michel Terestchenko, Le Bouc émissaire, de René Girard.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire