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jeudi 21 novembre 2019

Communication interspécifique, éthique, etc.

J'ai eu l'immense plaisir d'être invitée au colloque "Représentations animales dans les mondes imaginaires : vers un effacement des frontières spécistes ?" la semaine dernière.Colloque pluridisciplinaire, qui convoquait aussi bien des éthologues que des chercheur.euse.s en littérature comparée, des anglicistes, et moi, donc, en tant qu'autrice "multiclassée". Ce qui m'a ravie, au cours des échanges - j'en ai raté beaucoup, mais j'attends impatiemment la mise en ligne des interventions -, c'est l'ouverture d'esprit dont tou.te.s les intervenant.e.s ont fait preuve, de leur bienveillance et de la nature plurielle des questionnements engendrés par les diverses interventions. 
J'ai été particulièrement sensible au fait que les liens entre sexisme-racisme-spécisme soient mis en avant (je me sens moins seule...). La manière dont les animaux sont objectivés, mécanisés, dans notre culture - sous couvert de "vérités scientifiques" qui sont, je le rappelle, autant de croyances (elles sont justes... jusqu'à preuve du contraire) est une mise à distance, une dégradation de "qui" ils sont - une mise à distance que l'on retrouve évidemment dans des rapports humains où l'autre, mis à distance, est un objet convoité... 



... ou un autre réduit à un numéro, une "bête de foire", ou encore un encombrant dont il faut se débarrasser. Ainsi que le disait Marguerite Yourcenar :

"Soyons subversifs. Révoltons-nous contre l'ignorance, l'indifférence, la cruauté, qui d'ailleurs ne s'exercent si souvent contre l'homme que parce qu'elles se sont fait la main sur les bêtes. Rappelons-nous, puisqu'il faut toujours tout ramener à nous-mêmes, qu'il y aurait moins d'enfants martyrs s'il y avait moins d'animaux torturés, moins de wagons plombés amenant à la mort les victimes de quelconques dictatures si nous n'avions pas pris l'habitude de fourgons où des bêtes agonisent sans nourriture et sans eau en route vers l'abattoir, moins de gibier humain descendu d'un coup de feu si le goût et l'habitude de tuer n'étaient l'apanage des chasseurs. Et dans l'humble mesure du possible, changeons (c'est-à-dire améliorons s'il se peut) la vie."

L'autre élément qui m'a vraiment fait énormément plaisir - et rassérénée, c'est que de moins en moins est faite - ou alors de façon critique - la distinction "homme-animal".   L'homme appartient au règne animal. Et, dans cet esprit, au lieu de chercher ce qui nous distingue, ce qui nous rend "meilleurs" (mais en quoi ?), dans une espèce d'illusion pyramidale, qui classe les espèces comme elle classe les hommes et les femmes, les différents peuples, et numérise, juge, dégrade, avec des prétendues "lois du plus fort", il devient plus intelligent, plus constructif, plus juste de chercher ce qui nous rapproche : l'entraide, l'empathie, les émotions, la capacité à utiliser des outils, les pensées, etc. A ce titre, j'ai été particulièrement touchée par l'intervention d'Agatha Liévin-Bazin sur les corvidés, et par l'échange avec l'éthologue Charlotte Duranton sur les fausses coyances à propose des héirarchies des meutes (on retrouve les mêmes fausses croyances avec les chevaux...)
Quant à ce terrrriiiiible anthropomorphisme dont on nous rebat les oreilles - "attention à ne pas faire d'anthropomorphisme, blablabla", c'est oublier que chacune des espèces vivantes perçoit le monde et l'interprète à travers le prisme de ses propres codes de communication. Le chat fait du "catomorphisme", le corbeau du "corvidomorphisme", etc.
Ainsi que le soulignent plusieurs chercheurs, comme Frans de Waal ou Mark Bekoff, il faut surtout faire attention à ce que le refus de l'anthropomorphisme ne se transforme pas très vite en anthropodéni, une façon supplémentaire d'établir des frontières. 
... en revanche, tous sont unanimes sur les dangers de l'anthropocentrisme... bisou... 
La communication interspécifique, c'est la création, à la manière dont Winnicott l'exprime dans Jeu et réalité, d'une "aire intermédiaire d'expérience" permettant, avec les codes de l'une et l'autre espèce, de créer une communication coopérative - et singulière. 
Quelle que soit l'espèce.