Derniers articles

mardi 26 juin 2018

PAS D'AUTEURS, PAS DE LIVRE. PAS D'AUTEURS, PAS D'IMAGINAIRE FRANÇAIS.


"Autrice, c'est votre vrai métier?" 
"Vous avez un métier en dehors de votre passion pour l'écriture?" 
Derrière ces questions, un peu maladroite, un peu agaçantes (tout dépend de l'heure de la journée et du nombre de fois où elle a déjà été posée par d'autres élèves, dans d'autres classes), un questionnement sincère, qui montre combien il reste difficile dans notre culture d'associer "travail" et "passion" ou "écriture" et "profession"... 
Il y a dans les esprits cette croyance profondément ancrée qu'un travail, un vrai, c'est sérieux et que sérieux, c'est forcément pénible. Ou soigneux (cf. les reportages des chaînes régionales montrant des ébénistes, tailleurs de pierre et autres artisans rugueux). Mais certainement pas passionné, encore moins artistique. Les artistes sont des saltimbanques irréalistes qui vivent d'e champagne et d'eau fraîche... pas des gens sérieux. Et parmi eux, les écrivains sont les pires. Parce qu'"écrire, tout le monde peut le faire. "

La réalité, vous vous en doutez, est très différente.
Écrire, c'est tous les jours, 6 à 8H en moyenne, oublier (sauf quand on a des enfants) les congés scolaires et les jours de fête, se forcer à faire des pauses pour éviter le burn-out. C'est aussi flipper comme des malades pour payer les factures les "mois creux", négocier (avec plus ou moins de succès, parce que "tu comprends, nous aussi on a des problèmes..." ) des contrats, avoir toujours trois ou quatre projets à l'avance, faire des rencontres - scolaires, en médiathèque, en prison, etc. Et tout cela, pour des à-valoir (minimum garanti par l'éditeur) frisant trop souvent le ridicules et des droits allant de 0.60cents à 1 € par livre en moyenne (une fois le plafond dépassé). 
Et là, vous vous dites... C'est une profession ou un sacerdoce ? Parfois, on se le demande. En fait, la tendance actuelle  du gouvernement et de ses réformes, en dépit d'annonces pleines d'admiration et d'yeux pétillants pour le patrimoine culturel français,  irait plutôt vers le second choix. 
L’augmentation de la CSG n'est pas compensée, pour les auteurs.Aucune proposition concrète n'a été effectuée par la ministre. Le prélèvement à la source, lui, risque de piétiner la profession. 

"La rénovation du régime des artistes auteurs est un enjeu de la plus haute importance pour la vitalité créative et le rayonnement culturel de la France. Si la culture est véritablement enjeu de civilisation pour notre gouvernement et notre pays, il est temps de le prouver !"* Aujourd'hui, la ministre de la culture reçoit les associations et syndicats d'artistes auteurs pour discuter concrètement de la question. Espérons qu'un vrai plan d'action sortira de cette concertation. 

"Autrice, c'est votre seul métier?" 
Pour l'instant, je fais partie de celles et ceux qui peuvent dire : "Oui. Et, en dépit des galères, des riques, ça vaut le coup". Mais demain ? Dans deux ans ? Dans dix ans ? Je leur dirai quoi, à ces gamins ? Au-delà de la situation dramatique dans laquelle se trouve précipitée notre profession (avec, du bout des lèvres, enfin, un vague soutien du SNE... ), c'est un projet de monde carcéral qui est en train de se profiler. Un monde sans passion, sans rêve, sans imaginaire, sans rien. un monde gris.

Penser, réfléchir, rêver, apprendre, s'ouvrir, rire, pleurer... La culture et l'éducation sont les socles de la société. Un gouvernement qui s'y attaque, quelle que soit la méthode adoptée - en ce moment la réforme de l'université et l'asphyxie des artistes-auteurs, demain... - est une dictature en marche. 



 * (extrait d'un article sur le site #auteursencolere. Pour en savoir plus sur la situation des auteurs : https://www.auteursencolere.fr)

#auteursencolere #auteursendanger #payetonauteur
 



jeudi 14 juin 2018

Les Les Masques d'Azr'Khila (Shâhra - I) - Extrait 2

Tu sais, je n’étais ni la seule ni la plus douée. Au début, je ne comprenais pas pourquoi je n’étais pas mieux traitée que mes condisciples et j’ai perdu beaucoup de temps à bouder. Ensuite, ma nature double a rendu mon apprentissage plus compliqué. Je comprenais plus vite que les autres et ce, de manière intuitive. Alors les règles, les rituels, ça ne m’intéressait pas ! Je me suis assagie avec les années et, lorsqu’est venu le temps des ultimes épreuves, celles qui devaient faire de nous les gardiens des rites de notre peuple et de l’Équilibre entre le visible et l’invisible, entre les hommes et les dieux, j’étais prête. Et puis…
Arkhane s’interrompit. Yeshet posa une main noueuse sur son bras.
— Ce qui s’est passé… Cette violence, cette haine, me paraissent tellement irréelles ! poursuivit-elle d’une voix étranglée. J’ai le sentiment que c’était un cauchemar, ou que cela s’est produit il y a
très longtemps, qu’une autre que moi en a été victime. La seconde suivante, je cligne des yeux : je m’aperçois que je suis devenue aveugle et sourde à l’autre côté du monde ; je me prends de plein
fouet ce corps, cette blessure qui me rappelle ce qui m’a été arraché. Alors, j’ai le vertige, la nausée, je tombe en morceaux…
Le griot se saisit de la pipe accrochée à son cou, la bourra d’herbes sèches et l’alluma. Un mince filet de fumée s’éleva dans la nuit, s’y dispersa.
— Je ne suis plus personne, Yeshet, reprit-elle doucement. J’ai volé en éclats.
Le Nyambe la contempla un moment, puis chanta.

Tu es la mort et la vie o-oo
Sur le chemin
Ouvre les yeux et avance
Sur le chemin
Tu es la mort et la vie o-oo
Là-bas, tu retrouveras ton ombre o-oo-a-oo-a

samedi 9 juin 2018

Les Masques d'Azr'Khila (Shâhra - I) - Extrait

L’aube avait fui, laissant place à une lumière crue et à une chaleur étouffante. Même à l’abri des murs de sa chambre, Djiane transpirait, et chaque mouvement lui coûtait terriblement. Elle s’extirpa néanmoins de sa couche, effectua quelques étirements avant de se diriger, d’un pas décidé, vers les bains. Dans son dos, elle perçut les regards ennuyés de ses suivantes, contraintes de quitter le confort des méridiennes pour l’aider à se préparer. La jeune femme hésita : elle préférait se laver et s’habiller seule.
Toutefois, elle décida de les laisser la rejoindre, tant pour se venger de leur hypocrisie que pour se tenir au courant des derniers faits et gestes de sa belle-mère et de son insupportable fils. L’enfant, âgé d’un an à peine, se comportait déjà en tyran. Pour atteindre le hammam, il fallait traverser l’atrium, long d’une dizaine de qêben, avec la sensation de passer dans une fournaise.
Djiane poussa la double porte de bois noir incrusté de ferrures et pénétra dans une pièce éclairée par deux jours percés dans le plafond. Ses compagnes la rattrapèrent – plus vives qu’elle ne l’aurait cru. Sans doute la perspective de profiter de la douceur des parfums et de s’étourdir dans les volutes de vapeur.
— Samia, allume le poêle, ordonna Djiane.
Celle-ci, une fille aux étonnants yeux noirs, obéit. Mina, originaire d’un douar au sud d’Aïn Mên, se chargea de porter les seaux d’eau près du fourneau. Djiane attendit pour se déshabiller que Lenni, métisse nyambe aux traits fins, sorte de leur coffret de cuir le nécessaire de soins, savon noir, gants, huiles parfumées et brosse. Des fumerolles aux fragrances de miel envahirent peu à peu la salle. Assise sur un banc de pierre, Djiane s’aspergea d’eau chaude. Samia et Mina l’imitèrent. Lenni s’installa de l’autre côté de la source de chaleur, y versa de nouveau quelques gouttes d’essence de fleurs. Tout imprégnée encore de l’odeur de Riwan, de ses baisers, de ses paroles, Djiane ferma les yeux. Elle se rappela soudain les rimes de Lîla b’Rubya, la poétesse qui avait donné son nom à la rivière où elle s’était noyée.

Je voudrais prendre mon envol
Et m’enivrer de lumière
Alourdie par le poids des fers
Je demeure enchaînée au sol