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jeudi 25 août 2016

Liberté, oppression, domination

Quand j'ai réfléchi au synopsis de Sang-de-Lune, j'avais en tête d'évoquer la condition des femmes au Moyen-Orient, la pression sociale et religieuse, insupportable, qui rampe  et s'insinue partout. J'ai vite compris que ce n'était pas la bonne manière d'aborder le problème, que c'était à la fois bêtement polémique et réducteur. 

La domination, l'oppression, la violence intégrée dans le système même de la société n'ont pas besoin d'intégrisme pour exister. Il lui suffit d'un autre (dont il ne comprend pas le fonctionnement, ou qui a simplement une couleur de peau différente, etc.)  pour avoir peur. Et, pour maîtriser cette peur, de haïr, d'écraser. 
Dans Sang-de-Lune, il n'y a pas une seule fois écrit le mot "religion", parce que ce n'est pas le problème (plus exactement, c'est un problème universel de monothéisme mal digéré, imposé, récupéré par des individus en mal de volonté de puissance). Et tous les exergues qui ouvrent les chapitres, comme la majorité des textes de lois présents dans le récit, sont tirés de L'Essai sur les femmes, d'Arthur Schopenhauer (que l'on présente, soit dit en passant, en fac de philo, comme un type brillant, cynique, qui ne s'en laissait pas conter, lui, sur la vérité de la nature humaine, bref un type bien., voire un modèle... ) Dans ce torchon digne des esprits les plus indigents qui pullulent sur les réseaux sociaux (cf.DTC, de Klaire fait Grr), dans les médias, dans les bouches de nos politiques ["La France n'est pas un pays à prendre comme une femme" (Fillon), "Allez, enlève tes boutons!" un député à Duflot, en robe et plus généralement Et sinon je fais de la politique sur tumblr ] et bien sûr dans la bouillie religieuse recrachée par les intégristes du monde entier, on peut lire des phrases du genre : la femme est intellectuellement et physiquement inférieure à l’homme, la polygamie est naturelle et normale, il ne faut pas laisser les femmes éduquer trop longtemps les enfants parce qu’elle est limitée, la femme cherche à se soumettre à un maître, j’en passe et des meilleures.
Sang-de-Lune parle de domination masculine et de soumission à l’autorité, de la manière dont les classes dirigeantes, en désignant un ou plusieurs boucs émissaires, en imbriquant idéologie perverse et justice, asservissent un peuple. Sang-de-Lune parle aussi de la manière dont une population intègre cette violence à son mode d’être. À Alta, une femme naît coupable – et passe son existence à expier. À Alta, une femme n’a pas le droit de créer, parce que sa nature même est maléfique. À Alta, un homme n’a pas le droit de tomber amoureux, car il s’expose à la corruption féminine. Ni de défendre son épouse, si cette dernière est accusée d’un crime. Car elle l’aura cherché. 

Non, elle ne "cherche" pas.


Sang-de-Lune, c’est un reflet sinistre de notre monde – qui en cette fin d’été, me donne envie de vomir. La parole dévoyée, la culture ras-du-bulbe au service des « puissants » (laissons-leur cette forme-ci, peut-être la seule qu’ils aient), la peur de l’autre au service de la manipulation des masses (désolée, les masses, là je n’avais pas d’autre terme), l’appel à la haine, aux ratonnades (cf. Corse)… et, au centre, une fois encore, l’oppression et l’humiliation des femmes.

Parce que c’est exactement ce que montre cette photo qui fait le tour du web : une bande de pervers prenant plaisir à humilier des femmes. Et si vous croyez, chers lecteurs, chères lectrices, qu’elle l’ont bien cherché, après tout nous sommes dans un pays laïque*… Eh bien, vous avez tout compris ! Pardon, vous avez TOUT COMPRIS DE LEUR RAISONNEMENT bas du bulbe… C’est exactement le même que… Allez, je vous laisse deviner : « elle l’a bien cherché »…   (cf. le lien ici) La fille était en mini… « Si elle ne voulait pas se faire agresser, fallait pas se balader à poil ». Voilà. Vous avez saisi leur raisonnement.
Le burkini, la mini, même combat : une provocation. Coupable, celle qui ose mettre un burkini pour aller se baigner, coupable celle qui ne s’est pas remise des Courrèges 70ies**. L’agression, mâle, avec la complicité, la passivité de leurs concitoyen-nne-s, est la même. L’humiliation également. Celle de devoir se dévêtir publiquement, celle de devoir répéter 15 fois à des flics goguenards comment X vous a glissé la main entre les cuisses***. 


Elle non plus. Elle est juste grave fan des rayures.
Pour en revenir à mon nombril et à Sang-de-Lune. J’espère que ce récit, destiné aux ados et YA mais pas que, posera des questions, ne s’arrêtera pas au seuil de « certains pays » **** où les femmes sont des esclaves, et permettra d’ouvrir des portes sur des réflexions liées à nos sociétés occidentales dans leur rapport aux femmes et à l’Autre, à la manière dont on finit par contraindre les esprits à accepter l’inacceptable, à en faire une norme.
Oui, c’est ambitieux. And what else ? 



*mais oui, mais oui… et qui s’est vanté d’être nommé chanoine par un ex-pape ? Mmm ? Qui permet à des catholiques intégristes de manifester contre l’IVG, contre le mariage gay ? Mmmm encore… (désolée, Jeanne A. Debats, je te pique des *)
** Par exemple, ado, je portais TOUJOURS des mini, mais je n'avais pas pour autant envie qu'un malade incapable de gérer sa libido me tombe dessus. J'adore toujours les mini, et je ne "cherche" toujours pas... 
***C’est ce qu’on appelle la culture du viol, hein… Au passage, le mariage forcé, le viol conjugal, et toutes ces joyeusetés qui y ont contribué, ne sont pas nés avec les premières vagues d’immigration du XXème siècle. Ils existaient bien avant. Ils continuent d’exister. Et le comportement immonde de ces flics laissent penser qu’ils ont encore de beaux jours devant eux.
**** Mais pas le nôtre, hein… Alors, oui, ok, on a vachement de chance par rapport aux femmes iraniennes ou syriennes… mais on en a aussi vachement moins  que les Suédoises… et ce n’est pas de la chance, bordel. Ce sont des droits acquis de haute lutte, dans la violence, et qui sont sans cesse remis en question. Et certainement pas suffisants.


mardi 23 août 2016

Sang-de-lune, le booktrailer, les news

Avec une voix et un visages familiers, qui me rendent d'autant plus cher ce booktrailer... 

 Sinon, alors que les premières chroniques commencent à arriver sur la toile (googlez-moi, googlez-moi), quelques dates :

en avant-première, donc!

Et je serai également présente au Livre sur la place de Nancy les 10 et 11 septembre prochains.

lundi 8 août 2016

SANG-DE-LUNE (extrait n°3 : épreuves non corrigées)

Premières dédicaces : mercredi 24 août à la librairie Callimage de La Rochelle !
(place de Verdun)





— Non !
J’ouvre les yeux dans l’obscurité, effrayée par le son de ma propre voix. Je me redresse, frictionne mes bras. Inutile d’essayer de me rendormir : trop de chaos dans mon esprit, trop de de confusion, de peur aussi. Pour moi. Pour Arienn.
Ma petite sœur est devenue femme. Cela s’est passé hier, juste avant le dîner. Nous préparions une soupe d’écrevisses et de champignons blancs. Elle a pâli, levé vers moi des prunelles remplies de larmes. Un épais sillon rouge coulait entre ses cuisses. Aussitôt, mère l’a écartée de la nourriture et tante Vania l’a emmenée à l’extérieur de la cuisine. Je n’ai même pas eu le temps de la réconforter.
Je me souviens de la première fois où j’ai saigné.
Je me suis réveillée au milieu de la nuit, la bouche sèche, le ventre et les reins douloureux. Roulée en boule, parce que c’était ainsi que j’avais le moins mal, j’ai tenté de me rendormir, en vain. La peine était là, lancinante, angoissante parce qu’inconnue. J’ai fini par sombrer, je ne sais comment. « Gia est blessée ! Gia est blessée ! » Les appels terrorisés d’Arienn m’ont arrachée à ce sommeil agité. Dressée en sursaut sur ma couche, j’ai vu mes draps maculés, j’ai senti sur ma peau ce liquide tiède et poisseux. J’ai hurlé, moi aussi. Parce que je comprenais ce que cela signifiait : les Ténèbres avaient éclos en moi ; mon corps, mon âme ne m’appartenaient plus vraiment. Jusqu’à ce que le rituel soit achevé, jusqu’à ce que l’encre et le cuivre les emprisonnent au plus profond de mon être, je suis restée isolée afin que nul ne soit contaminé. C’est paradoxal, quand j’y réfléchis : le sang que nous versons rappelle le châtiment de la Lune, lorsqu’elle consentit à ce que ses filles portent les enfants des hommes ; pour cette raison, notre époux arrache la perle de métal qui scelle nos Ténèbres ; comme si notre impureté était ce qui nous permettait de donner la vie…
Sauf si tout cela n’est que mensonges. Sauf s’il n’y a pas plus de souillure en nous qu’en nos frères, pères, maris. Sauf s’il existe en chacun de nous une part de noirceur et de lumière, une flamme qu’il nous appartient d’entretenir.
J’aimerais en avoir la certitude.
Mais si j’attends, ce sera peut-être trop tard pour libérer Arienn et nous évader.
Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que les rumeurs de ma trahison remontent jusqu’à mes parents. L’argument de Sienn – ma précision, mon adresse – les ont rendues plausibles. Ma passivité, lors de l’attaque de l’enclos, les ont renforcées la portée. Les médisances, au lavoir, au marché en ont enflé la portée. Et Lucian, mon imbécile de frère, si prompt à dénoncer, juger, l’a confirmé hier pendant le repas : je n’ai pas crié, je ne me suis pas débattue lorsque le Nocte a voulu m’entraîner avec lui. Je suis demeurée impassible : je les ai servis, lui, mon oncle et notre père avec docilité et discrétion. Je les ai écoutés discuter des mesures prises contre nos ennemis. De nouveau, mon père a évoqué une action radicale pour les éradiquer : « Bientôt, a-t-il dit, les efforts et les sacrifices déployés ces dernières années porteront leurs fruits. Alta sera enfin débarrassée de l’engeance des Ténèbres. » À la fin du dîner, il a saisi mon poignet. Il exigeait de connaître ma version des faits. Alors, je lui ai rapporté ma surprise, ma frayeur, l’horreur de la mort de l’agneau, ma confusion, aussi. Il a écouté sans un mot, puis m’a congédiée.
Ce matin, il m’a convoquée dans son bureau, vaste pièce située au fond de la cour intérieure. Les battants étaient entr’ouverts. J’ai frappé, par principe, puis je suis entrée. Il m’attendait, assis à son écritoire. Derrière lui, un disque de cuivre martelé de sept rayons, symbole de son nouveau titre et des casiers remplis de papiers. Contre le mur de droite, une bibliothèque étroite chargée de livres.
Immobile, sur le plateau couvert d’écrits, un jeune lézard aux écailles opalines guettait le passage d’une mouche. À l’opposé, deux fauteuils tissés de laine ocre et jaune, destinés à recevoir ses invités de marque.
Moi, je suis restée debout. Il m’a simplement fait signe d’approcher, a terminé la lecture d’un document, l’a signé avant de relever les yeux vers moi. « Tobian et Janir te veulent tous deux comme épouse. J’ai longuement hésité, mais les derniers événements m’ont décidé en faveur du premier, a-t-il déclaré. En te donnant à lui, je m’acquitte des dettes que notre famille a contractées par la faute de Dana et la tienne. Je sauve notre réputation. » Caspian m’a longuement étudiée. J’ai soutenu l’examen, m’efforçant, pour ne pas flancher, d’imaginer une petite flamme au centre de moi-même, une lumière ne demandant qu’un peu de courage et de volonté pour briller. « Ta mère craignait ta réaction. Manifestement, elle se trompait. Tu as mûri, Gia, » a-t-il ajouté – et j’ai cru discerner de la fierté dans ses yeux.
J’ai hoché la tête, attendant qu’il me renvoie dans le gynécée.
Honneur. Réputation.
Je hais ces mots, presque autant que résignation.
Ce sont des mots de violence, des mots de mort et de folie. Ce sont des mots du quotidien, qui étranglent, écrasent, détruisent. Je refuse d’être broyée. Transformée en esclave par celui qui a fait de ma cousine une infanticide.
Plutôt crever.
Plutôt fuir, loin d’ici, loin de cette vie, prendre le risque de l’exil, des Noctes et des monstres tapis dans les profondeurs d’Alta.