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mercredi 29 avril 2015

Fanny - extrait n°2

Comédien, c'est pas un métier. C'est comme auteur, photographe, tout ça. C'est une passion. La preuve ? En dîner et fausse identité. Ou quand Fanny devient Marie pour séduire un ex-musicien frustré. 


Pour Marie, j’ai imaginé un job de vendeuse à temps partiel et des ambitions de mise en scène : elle attend le début de l’été pour proposer d’animer des ateliers de théâtre dans différentes mairies, elle a un vague projet d’adaptation et répète Célimène pour aider un ami. Il faut toujours mêler un peu de vérité aux mensonges que l’on invente pour les rendre crédibles.

— Et ta pièce ?

Avec la carte, Sandra nous apporte deux apéritifs offerts par la maison et des olives aux herbes.

— De ce côté, tout va bien ! Je regrette juste de ne pas avoir plus de temps à consacrer à ce rôle, mais…

— Je t’aiderai à répéter, si tu veux. J’ai joué dans quelques spectacles, au lycée. Rien de très sérieux, mais, d’après mes souvenirs, ça n’est pas bien compliqué !

Évidemment. Comédien, ce n’est pas un métier. C’est à la portée de tous de savoir placer sa voix, retenir un texte et l’interpréter jour après jour de la même façon, quelle que soit son humeur, en respectant la mise en scène et le reste de la troupe. C’est d’une simplicité enfantine de se métamorphoser chaque soir en quelqu’un que l’on n’est pas et de revivre en public ses émois, ses espoirs, ses souffrances – ses ridicules, aussi. Un gamin de trois ans en est capable…

— Marie ? Tu ne m’as pas répondu !

Je plaque un sourire de circonstance sur mes lèvres.

— Non, non, c’est gentil, Fred. Je vais me débrouiller. 






samedi 25 avril 2015

Philosopher, c'est apprendre à...

Mourir ? Certainement, la sagesse, le recul, le calme, tout ça... Mais c'est  sinistre. Un brin péremptoire. Et surtout, très réducteur.
C'est en tous cas la conclusion à laquelle ma copine Julie et moi sommes arrivées après une discussion dans notre bar à chocolat préféré. Julie, comme moi, a une thèse de philo. Elle est danseuse. Moi j'écris. 
Parmi les lectures qui ont été essentielles à la construction de ma thèse et, je crois, de mes réflexions personnelles autour de la création et du rapport aux autres, il y a Jeu et réalité, de Winnicott (Sam, tu me le rends, dis ?). Dans cet essai, je résume sans filet, vous me pardonnerez les approximations, Winnicott s'intéresse aux liens existant entre l'individu et le monde - un monde qui se résume d'abord à sa mère ou son père, puis progressivement, à mesure que l'enfant prend conscience de lui-même, s'élargit aux autres... Là intervient ce qu'il nomme "aire intermédiaire d'expérience" : un espace neutre (le moi n'est pas en danger, du moins normalement pas), fait à la fois d'un ancrage individuel et d'une création "avec l'autre". En schématisant grossièrement : pendant l'enfance, c'est le jeu. Genre, cow-boys et indiens. Pendant l’adolescence, ça peut-être la musique (gothic style forever). A l'âge adulte, c'est la religion (soit...), l'art et... la philosophie. Une philosophie qui est donc partage et création (c'est là que ça devient drôle quand on réfléchit aux abstractions stériles de ceux qui s'enferment dans une pseudo-pensée pure). En schématisant moins, et parce que c'est en lisant un article sur le jeu de rôles que je me suis énervée toute seule (à propos, justement, des théories abstraites, arides, qui enferment au lieu d'ouvrir et donnent juste envie de fuir en courant), il me semble qu'il s'agit d'une illustration parfaite des théories de Winnicott, puisqu'il s'agit d'inventer une histoire à plusieurs, une histoire dont on est à la fois acteur et créateur, soi-même et autre, toujours avec - et dans des univers toujours différents. En donnant naissance à un personnage, à la fois autre et même (c'est un vieux chasseur de fantômes expert en latin, mais il l'interprète... avec ses tripes), le joueur entre dans cette "aire intermédiaire d'expérience", cet espace neutre riche en possibles, mène le temps d'une partie, d'une campagne, une autre vie et pousse donc au plus loin cette création partagée évoquée par le psychanalyste.
Mais j'en reviens à la philosophie (mes premières amours) et aux questions qu'elle pose, ou plutôt que nous nous sommes posées, mercredi, à son propos. 
Qu'est-ce qui fait qu'un domaine aussi riche en interrogations, en humanité(s), ait une telle aura d'inaccessibilité, voire d'hermétisme? Pourquoi, pour se dire philosophe, faut-il absolument se couper du monde et de la vie ? (ce qui passe aussi bien par une façon d'être que par un mode d'expression abscons ou une manière de considérer le reste du monde)... Et donc, finalement, dévoyer l'essence même de la philosophie.. Nous avons évoqué beaucoup de pistes, en fait : machisme, élitisme de mauvais aloi, opus dei (y en a...), frustration, peur, égoïsme et mégalomanie... Bref. la liste est longue. 
Mais nous en avons provisoirement conclu  que philosopher, c'est apprendre à... douter, aimer, vivre, pleurer, rire, s'émouvoir, s'ouvrir, réfléchir, s'intéresser, respecter, créer... Pourvu que le philosophe en question fasse autre chose que se regarder le nombril et ses idées - ou le nombril de ses idées!
C'est rire, aussi. Et se remettre en question. A ce propos, avant de vous quitter, un petit ouvrage que j'ai adoré, de Vinciane Desprets : Penser comme un rat... (de l'influence du jugement d'autrui sur l'éthologue chargé d'étudier un rat).

 

vendredi 17 avril 2015

Fanny... en mai

Je tape le titre, et me rends compte que le roman débute au moi de mai... Sa sortie, elle, après maintes modifications, aura lieu le 29 de ce même mois, soit pendant les Imaginales.
Fanny, c'est quoi exactement ? L'histoire d'une jeune femme  - Fanny, donc - comédienne, abonnée aux rôles de jeune première au théâtre, aux personnages de victimes au ciné, qui rentre à Paris dans l'espoir de décrocher LE rôle de sa vie. Enfin, celui qui lui permettra de faire exploser les frontières des apparences... D'incarner Hermione, par exemple.Ou une tueuse à gages.


Une fois, j’ai passé six heures à demi nue, attachée à une chaise métallique, couverte de fausses plaies et de sang synthétique à hurler, me débattre et sangloter face à un tueur en série lent et méticuleux. (Fanny, 29 mai Milady Romans. Couverture de Patrick Imbert)
En attendant de passer l'audition, Fanny dépanne Tom, un copain metteur en scène qui a désespérément besoin d'une Célimène(pas si jeune première que ça, la belle de Molière)... et accepte d'aider son ex-meilleure amie de lycée décidée à se venger d'un sale type...
Premier extrait aujourd'hui : retrouvailles avec Sonia. 


Un instant plus tard, on tombe dans les bras l’une de l’autre. Je sens contre moi sa joue humide, je respire son odeur de vanille, me rappelle comme une évidence qu’elle a toujours aimé les fragrances sucrées. J’ai l’impression que les années qui nous ont séparées sont abolies, qu’on se retrouve après deux mois d’été.

— Tu descends où ? demande-t-elle, s’écartant légèrement de moi.

— Je change à Bastille.

— Moi, je n’habite pas très loin. Je connais un bar sympa, si tu as le temps, ajoute-t-elle après avoir hésité un instant.

J’acquiesce avec enthousiasme. J’ai besoin d’un verre, de décompresser. Et puis Sonia est la meilleure chose qui me soit arrivée de la journée. En dehors de la mini-robe, bien sûr. À Bréguet-Sabin, un accordéoniste et une fille aux mèches décolorées grimpent dans le wagon. Entament une Vie en rose à la fois hésitante et touchante. Sonia et moi, on échange un regard de connivence : cette chanson traversait Jeux d’enfants, l’un de nos films cultes au lycée. On adorait ces gamins cabossés, incapables de se dire « je t’aime », fous l’un de l’autre au point de vouloir mourir pour ne plus jamais être séparés. L’histoire ? Sophie, petite Polonaise malmenée par ses camarades, et Julien, dont la maman est gravement malade, deviennent amis le jour où le petit garçon lui offre une boîte à musique. Pour la récupérer, il accepte un gage. Et c’est ainsi que le jeu commence. L’objet passe de l’un à l’autre ; pour le reprendre, celui des deux qui ne l’a pas doit accepter de relever un défi. Des défis de plus en plus tordus, et de plus en plus ambigus à mesure qu’ils grandissent, se séparent, se retrouvent…. « Cap ou pas cap ? » Poétique et cruel, ce film nous arrachait, chaque fois, des sourires et des larmes. Combien de fois l’avons-nous regardé ? Vingt, trente fois ?

Je connaissais les répliques par cœur. Au point qu’à l’oral du bac j’avais décidé d’interpréter la déclaration de Sophie.

« Non, ne dis rien, c’est à moi de parler. Je t’ai manqué ? Parce que toi, tu m’as manqué. Enfin, c’est pas que tu m’as manqué, c’est que le temps n’était plus qu’une herse, un piège sans fin. T’es un vrai tyran, tu sais ? C’est tellement dur de te faire la gueule ! Mais je t’en veux quand même, hein ? Te fais pas d’illusions… »

Le prof, un type jeune, plutôt pas mal, avec des lunettes cerclées de métal et des yeux clairs, était resté interdit pendant quelques secondes. Puis s’était repris, m’avait invitée à jouer mon second extrait, tiré d’un classique. Il m’avait écoutée en silence avant de me demander pourquoi mon choix se portait sur des aveux décalés. Aucune des deux héroïnes ne confiait ses sentiments à celui qu’elle aimait. Était-ce par peur ? Pour éviter la confrontation ?

Je m’en suis tirée avec je ne sais quelle pirouette, mais ses questions n’ont jamais cessé de me hanter. Par intermittence, du moins.

Bastille. Les portes s’ouvrent. Vieille habitude de lycée : Sonia me prend par le bras et m’entraîne vers la sortie. Dans les couloirs, des odeurs artificielles de viennoiserie au beurre se mêlent à celles, moins agréables, de vieille urine, de transpiration âcre et d’eau de toilette bon marché. Rien de pire qu’à New York, mais je suis heureuse de grimper les escaliers et de me retrouver à l’air libre.