- Poche: 64 pages
- Editeur : OSKAR
- Collection : Court-métrage
- Prix : 6€
À 17
ans, Kenza ne rêve que d’une chose : quitter le Maroc pour découvrir le
monde. Peut-être Nabil, décidé à tenter sa chance au Canada, l’emmènera-t-il
dans ses bagages ? Mais non : on surprend leur baiser. Alors pour
éviter la honte et le déshonneur, la jeune fille est forcée d'épouser
Mouloud, qui vit en France et a besoin d’une femme pour tenir la maison.
Commence alors pour Kenza un voyage vers l'enfer...
Saison rouge sort le 14 février, pile poil pour la Saint-Valentin !!!! Vous allez me dire que je fais preuve d'un humour plus que douteux en mettant des "!", vu le thème et l'ambiance de ce court roman, mais je trouve ça tellement incongru!
Pour la peine, voici un court extrait de ce roman, qui trêve de plaisanterie me tient à cœur, parce que j'en ai rencontré, des filles mariées de force et utilisées comme l'est Kenza... Je me souviens d'une rencontre dans un avion qui me menait à Fez, avec une femme d'une cinquantaine d'années, peut-être moins, peut-être un peu plus qui voyageait avec sa petite dernière, handicapée. Arrivée en France dans les bagages d'un mari de trente ans plus vieux qu'elle, traitée en esclave, soulagée qu'il soit enfin "vieux" et la laisse tranquille... Et ce, sans compter les jeunes femmes rencontrées au fil de mes séjours. Ce texte leur est dédié.
Même si le soleil
brûle, même si le travail est rude, l’été, pour tout le monde, c’est la saison
de la famille, des moissons, des fêtes interminables, des baignades dans l’oued
et des retrouvailles avec les amis.
Pas pour moi.
Pour moi, c’est la
saison des drames et des larmes, des herbes sèches où pourrissent des bêtes aux
ventres gonflés.
L’été, c’est la
saison des charognes et des mariages arrangés.
J’ai vu mes cousines
Aïcha et Zineb parées de robes et de bijoux, les joues peintes, les paupières
fardées de khôl, assises près de leur époux sur un trône couleur d’argent.
Elles étaient belles, mais pour rien au monde je n’aurais voulu être à leur
place. Il y avait trop de peur, trop de larmes dans leur regard. Les hommes
tapaient des mains, les femmes poussaient des youyous, le méchoui était en retard,
tout le monde bavardait, riait, sauf les mariées. Le lendemain, c’était pire.
Elles avaient les yeux battus, l’air égaré, triste à en pleurer. Comme si on
les avait amputées d’une partie d’elles-mêmes.
Les mois suivants,
je les ai vues se métamorphoser. Pas seulement parce qu’elles étaient
enceintes. Non, c’était autre chose. Une espèce de résignation, le sentiment
que pour elles, plus rien n’avait de sens.
Le pire, c’était
Zineb. Elle qui se tenait toujours droite, qui marchait comme une reine dans les
rues du village, même pour aller au souk, avait les épaules voûtées d’une
petite vieille. Ma mère la trouvait bien plus convenable, ainsi. Moi, j’avais
l’impression, chaque fois qu’elle nous rendait visite, de voir un fantôme. Je
détestais son mari, un policier tyrannique, qui se gargarisait de ses fonctions
et de son uniforme. Je n’aimais pas la façon dont il la traitait. Je me disais
que, lorsque mon tour viendrait, je choisirais un garçon doux et gentil, qui me
respecterait, accepterait même mes idées folles et mes envies d’évasion.
À la télévision, mes
tantes et mes sœurs raffolaient des histoires dramatiques dans lesquelles les
personnages se mentent, s’aiment, se haïssent, se vengent, se réconcilient pour
mieux se déchirer. Elles ne manquaient presque aucun épisode de ces
interminables séries. Moi, j’ai toujours préféré les émissions qui font voyager
: lagons bleu turquoise, villes sur l’eau, forêts d’émeraude peuplées d’animaux
merveilleux, ponts suspendus au-dessus de l’océan, montagnes blanches de neige.
Je me disais qu’un jour, peut-être, je partirais là-bas. Et pourquoi pas ?
Sara, une fille de deux ans plus âgée que moi, avait suivi son mari au Qatar.
Elle était revenue une fois chez ses parents, avec des bagues à chaque doigt et
les bras chargés de cadeaux.
Je ne voulais pas
d’or, mais des rêves.
Je n’ai eu aucun des
deux.
J’ai rencontré
Nabil. Il me faisait rire. Il me parlait de sa vie d’étudiant, de la musique
qu’il aimait, de ses ambitions : lui aussi souhaitait quitter le Maroc. Pas
pour s’installer en France ou en Espagne et finir sous-payé, maltraité, dans un
pays qui ne voulait pas de lui. Non, Nabil irait au Canada. Montagnes
Rocheuses, ours grands comme des chevaux, villes souterraines, neige à perte
d’horizon : je l’aurais suivi sans hésiter si un voisin ne nous avait pas
surpris en train de nous embrasser.
Voilà. Tout a
basculé à cause d’un baiser.
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