L'Autobiographie de Thomas de Quincey : une anatomie de la douleur
Françoise Dupeyron-Lafay
Éditions Michel Houdiard, automne 2010 (25 Euro - 384 p)
Dans sa vie comme dans son œuvre, De Quincey s'est toujours montré déroutant, et excentrique à tous les sens du terme ; il n'a jamais été poète ni non plus réellement romancier ; pourtant, il a su baigner ses peintures de la vie - y compris la sienne - d'une aura fictionnelle et d'un sens dramatique inoubliables , et faire résonner dans sa prose les vibrations musicales de la poésie ; atypique et inclassable, tout à la fois daté, moderne et intemporel, il a fait œuvre de pionnier dans le domaine psychologique, et décloisonné la maison de la fiction, en mêlant harmonieusement dans ses textes prose, poésie philosophie et introspection autobiographique. (F. Dupeyron-Lafay)
Les Confessions d’un mangeur d’opium anglais (1821), ont inspiré à Baudelaire (traducteur également) ses Paradis artificiels et influencé des écrivains aussi divers que Proust, Virginia Woolf (Trois guinées) ou Poe, fait rêver, en raison de l’analyse à la fois clinique et onirique de l’influence de l’opium sur la psyché, nombre de lecteurs sombres et romantiques et sont les écrits les plus connus de Thomas de Quincey… jusqu’à la fin du siècle dernier considéré par la critique comme un auteur mineur, un sombre romantique à l’écriture un peu archaïsante… dont le seul écrit valable était ces fameuses Confessions… Ce jusqu’à ce que soit publiée l’intégrale de son œuvre, y compris les Suspiria de Profundis (1845), les Fragments autobiographiques (1853) et la version « longue » des Confessions (1856). L’une des principales raisons de cet étrange oubli est que l’œuvre de T. de Quincey est fragmentaire, morcelée – un puzzle à l’image de son existence, ce que va montrer F. Dupeyron-Lafay.
Partant de « L’impossible travail du deuil » (titre de son article des Actes du Colloque du CERLI 2007 : Voix/ Voies de l’indicible, également chez Michel Houdiard), celui de sa sœur Elisabeth, véritable « trou » dans son âme, puits de peur, de culpabilité et de remords, mais également de ceux qui ont traversé son existence, F. Dupeyron-Lafay dégage différents motifs et symboles récurrents, qui constituent l’ossature de l’œuvre de T. de Quincey et lui donnent sa dimension onirique et fantastique. Au bestiaire étrange, mêlant animaux familiers (chaton), bêtes exotiques (crocodiles et hyènes) et araignées s'ajoutent les thèmes de la mer dévorante (et de la mère terrible), les figures antiques d’Œdipe et Oreste et l’architecture cauchemardesque de cités tentaculaires… ou arachnéennes.
L’essai de F. Dupeyron-Lafay est sous-titré « une anatomie de la douleur », à juste titre. Elle effectue en effet une autopsie à la fois poétique, psychologique et littéraire des quatre œuvres majeures de l’auteur des Confessions, une enquête passionnante qui plonge le lecteur, d’écho en écho, dans la psyché de de Quincey.
L'Autobiographie de Thomas de Quincey : une anatomie de la douleur est un outil indispensable pour tout lecteur désireux de comprendre l'œuvre de T.de Quincey et, au-delà, les mécanismes du deuil, de la passion et de la mélancolie. C'est également un ouvrage remarquablement écrit, très accessible et passionnant.