... et au-delà.
Il y a quelques jours, je suis tombée sur un commentaire, en lien avec une chronique, par ailleurs très positive, sur Le jour où je suis partie. une remarque qui disait, en gros : "ouais, mais t'aurais mieux fait de lire un bouquin écrit par une Marocaine..." Ma première réaction (aussitôt contrôlée, effacée, soyez rassuré.e.s) a été de répondre : "j'ai fait des allers et retours pendant 17 ans au Maroc, je suis légitime, pauvre c..." Très vite, je me suis rendu compte de l'absurdité de ma réponse, qui aurait sonné comme une justification. Et je l'ai effacée.
Et puis, je me suis interrogée sur cette notion même de légitimité dans l'écriture de fiction. J'ai pensé à Sweet Sixteen, le merveilleux roman d'Anne-lise Heurtier sur les neuf premiers élèves noirs intégrant un lycée blanc, en Alabama. Avait-elle besoin d'avoir vécu en tant qu'adolescente pauvre et noire dans l'Amérique ségrégationniste de 1954 ? J'ai pensé aussi à Fabien Clavel, et ses très nombreuses héroïnes. A-t-il le droit d'utiliser des filles ou des femmes dans ses romans ? Et Jean-Chirstophe Tixier, qui évoque les réfugiés, dans La Traversée ?
Et les romans historiques ? De SF ?
Et... Et... Et... Maxime Chattam est-il légitime à parler de serial killer... A moins qu'il n'en soit un ?
Vous l'aurez compris, je suis très vite arrivée au bout de mon raisonnement. Ces réflexions, et les justifications qu'elles engendrent, n'ont pas lieu d'être. Bien sûr, quand on écrit un récit historique, ou qu'on évoque certaines thématiques, on se documente - c'est même la moindre des choses. Mais l'essence même de l'écriture d'une œuvre de fiction, c'est la capacité que nous, auteur.ice.s, avons à nous mettre à la place de l'autre, quel qu'il soit - donc dans la peau de nos personnages -, à nous projeter dans leur quotidien, à ressentir leurs émotions. J'ai habité au Maroc. Mais je ne me suis jamais rendue aux Etats-Unis de la fin du XIXème siècle et je n'ai pas vécu dans une réserve du Dakota du sud. Pas plus que je ne suis un garçon un peu geek, un peu rond, et beaucoup trop timide fasciné par les princesses inaccessibles. Et je peux vous garantir que Sylvie Allouche n'est pas une sociopathe et Fabien Fernandez n'a pas connu le Dust Bowl ni la misère des hobos des années 30. Bruno Lonchampt n'est pas le Bloc de haine facho de son roman éponyme.
Nous écrivons des histoires. Ni des essais ni des transcriptions de la réalité.Et ces fictions, nous les écrivons avec sincérité, avec nos tripes, en les étalant de façon plus ou moins brutale, parfois avec poésie, même, sur nos mots.
Alors, la question de la légitimité ne devrait pas se poser.
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