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jeudi 27 juin 2019

Miroirs...

Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine.... j'ai fait une thèse de philosophie. Intitulée : Les mondes imaginaires et le déplacement du réel : un questionnement de l'être humain, elle interrogeait, à travers les différents prismes que sont la philosophie, la psychanalyse, la littérature fantastique et la musique notre rapport à l'autre. L'autre : humain. L'autre : non-humain. J'y montrais, de mémoire l'impossible définition de l'humain en l'homme, et surtout l'absurdité de la question... J'y montrais également que notre rapport à l'autre, c'est d'abord la prise de conscience de notre fragilité (le visage, selon Lévinas) et notre finitude (la mort, le corps mort, etc.) - l'autre est ce qui m'attire, et aussi m'effraie. C'est également dans ce rapport à l'autre, cette fois l'autre non-humain, que l'être humain est confronté à ses propres failles (ou aux failles de son questionnement). Le non-humain, dans ma thèse, c'était le monstre - en particulier la Sphinge envoyée par Apollon, à la croisée des chemins, pour terrifier les voyageurs mais aussi punir un meurtre. Œdipe, en résolvant l'énigme de l'hybride, la détruisait, mais devenait ainsi un VRAI monstre (parricide d'abord, puis incestueux...) Pourquoi avoir détruit la Sphinge? Pourquoi ne pas lui avoir demandé "pourquoi", justement... 


Nous , humains, passons notre temps à classer et définir, cherchant à nous classer, étiqueter, définir, les uns par rapport aux autres,  ou à une norme, ou au monde. Nous essayons d'être objectifs. Du moins en philosophie. Et dans certaines sciences. Et nous nous plantons, lamentablement. Nous nous plantons parce que nous délimitons, excluons, au lieu de comprendre, parce que nous coupons des liens au lieu d'en créer. Nous nous plantons surtout pace que nous ne sommes pas des machines, mais des êtres sensibles. L'objectivité, à moins d'être un parfait sociopathe, c'est une vaste fumisterie. Ou un exercice impossible. Ou une façon de passer à côté de la vie. Bref. 


A l'époque, je le pensais mais je n'étais pas assez sûre de moi ou claire avec moi-même, mais notre manière de penser, classer, définir, avec les animaux autres qu'humains, me paraissait tout aussi absurde. Absurde, parce qu'héritée d'une pensée mécaniste et utilitariste, rongée par la volonté de puissance,  bien pratique quand on a besoin d'opprimer, dominer, tuer, etc. Qu'on ne s'y trompe pas, l’asservissement des animaux autres qu'humains préfigure et rend possible celui des humains *
En biologie et éthologie, en France particulièrement, les recherches souffrent énormément de ces carcans étriqués. philosophe et éthologue, Vinciane Despret a beaucoup écrit sur la question de l'objectivité très subjective en réalité des chercheurs : 
"(...) les expérimentateurs expérimentés conseillent aux jeunes scientifiques de ne pas travailler avec les chats. Il semblerait en effet que, dans certaines circonstances, si vous donnez à un chat un problème à résoudre ou une tâche à exécuter pour trouver de la nourriture, il va le faire assez rapidement, et le graphique qui donne la mesure de son intelligence dans les études comparatives connaîtra une courbe ascendante assez raide. Mais, [Vicky Hearn] cite ici un de ces expérimentateurs, « le problème est que, aussitôt qu’ils ont compris que le chercheur ou le technicien veut qu’ils poussent le levier, les chats arrêtent de le faire. Certains d’entre eux se laisseront mourir de faim plutôt que de continuer l’expérience ». Elle ajoute laconiquement que cette théorie violemment anti-behavioriste n’a jamais été, à sa connaissance, publiée. La version officielle devient : « n’utilisez pas de chats, ils foutent les données en l’air »." (Penser comme un rat). 

 
Le biologiste et psychologue Frans de Waal, lui, explique que les expériences visant étudier le comportement des animaux et/ ou leurs capacités d'apprentissage sont souvent faussés lorsque cela concerne les animax autres qu'humains : des enfants et des chimpanzés auront le même référent humain, pour leur montrer comment effectuer telle ou telle tâche. Les enfants réussissent mieux... parce que l'expérimentateur qui leur propose tel ou tel jeu est humain. Les chimpanzés ont plus de difficultés à comprendre quelqu'un qui n'est pas de la même espèce. Ce n'est qu'un exemple. 
Il montre dans Sommes nous trop bêtes pour comprendre les animaux à quel point nos méthodes sont limitatives et sources d'échec quand on tente réellement de comprendre comment les animaux apprennent, communiquent, etc. 
"... si la cognition animale devient un sujet de plus en plus populaire, l'idée qu'elle ne serait qu'un pâle substitut de la vie humaine a la vie dure. [...] Quel étrange animal nous sommes pour que la seule question que nous posions sur notre place dans la nature soit : "miroir, mon beau miroir, quel est le plus intelligent ?" La volonté de laisser les humains à leur place dans l'absurde échelle de la nature imaginées par les grecs de l'Antiquité  a conduit à une obsession de la sémantique, des définitions, des redéfinitions - et, soyons honnêtes - au déplacement incessant des lignes de but. Chaque fois que nous transformons nos faibles attentes envers nos animaux en expériences, le miroir nous fait entendre notre réponse préférée."
Ainsi, que ce soit dans des articles, sur les réseaux, dans des conversations, on entend que tel ou tel espèce "n'est pas capable de", "a un plus gros cerveau", "moins grand", etc. Frans de Waal raconte l'anecdote de l'éléphant incapable de se reconnaître dans un miroir... trop petit pour lui. Et de conclure : "il y a tant d'explications possibles à des résultats négatifs qu'il est plus sûr de douter de sa méthode avant de douter de ses sujets." 
A propos de Hans le malin, le cheval qui "savait compter", il a été montré que, ce qu'il savait, c'était lire les émotions et le langage corporel de son humain. Ce qui veut dire, non qu'il était stupide... mais que c'était un maître en communication et en empathie. C'est juste dommage qu'il ait fallu des décennies pour comprendre ça.** 

Photo : Kimberley Spencer

A cela, se rajoute, les généralités à propos des espèces : "le cheval est", "le chat n'est pas", "le chien est", avec plein de grandes vérités, issues de courants de pensée, d'approches, elles-mêmes influencées par les idées de celui-ou celle qui les aura écrites... qui nie complètement la singularité,, la personnalité de chaque individu. Comme si, seul, l'humain - et encore, mâle, blanc, hétérosexuel et riche..*** - avait le droit à la singularité. Une façon bien commode de regarder le miroir... par le petit bout de la lorgnette et de refuser ce qui nous lie aux autres personnes, humaines et non-humaines... Si je me reporte au drame d'Oedipe et de la Sphinge, ce refus de considérer l'autre dans sa singularité, de nous y reconnaître, dans notre fragilité, dans notre étrangeté, et de communiquer avec lui (ou trouver le moyen de le faire), ce jugement qui refuse toute empathie, est ce qui nous coupe de nous-même, du monde, de notre humanité... 
Je conclus en vous renvoyant à la première des cinq excellentes émissions de france culture : l'Animal est il l'avenir de l'homme, avec Yves Christen, biologiste et spécialiste es peuploe panthère... excusez du peu! 

* Je cite Marguerite Yourcenar : "Je me dis souvent que si nous n'avions pas accepté, depuis des générations, de voir étouffer les animaux dans les wagons à bestiaux, ou s'y briser les pattes comme il arrive à tant de vaches ou de chevaux, envoyés à l'abattoir dans des conditions absolument inhumaines, personne, pas même les soldats chargés de les convoyer, n'aurait supporté les wagons plombés des années 1940-1945. Si nous étions capables d'entendre le hurlement des bêtes prises à la trappe (toujours pour leurs fourrures) et se rongeant les pattes pour essayer d'échapper, nous ferions sans doute plus attention à l'immense et dérisoire détresse des prisonniers de droit commun.'

** Note pour les cavaliers : les chevaux perçoivent nos peurs, nos angoisses, notre joie, nos frustrations, nos intentions, au point que cela peut paraître magique. Ils ne peuvent en revanche comprendre nos incohérences, parce qu'ils lisent un langage qui est en contradiction avec nos émotions... le souci n'est pas tant de faire de l'anthropomorphisme, que d'être cohérent entre ce que l'on exprime et ce qu'on veut. ) 

*** Vous n'avez pas remarqué le nombre de textes qui célèbrent La femme, en général bien archétypée, parlent de LA femme, etc.  ?
 

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