Mon prochain roman, Sang-de-lune, sort fin août. D'ici là, je proposerai quelques extraits et vous propose de m'envoyer vos questions (via mon contact mail) : j'y répondrai, dans un billet dédié, le 8 août. D'ici là, bonne lecture!
Alta. Une cité où les femmes sont soumises à l’autorité des
fils-du-soleil. Gia, comme toutes les sang-de-lune, doit docilement se
plier aux règles édictées par le conseil des Sept, sous peine de
réclusion, ou pire, de mort. Impossible d’échapper au joug de cette
société où règne la terreur. Pourtant, le jour où sa petite sœur Arienn
découvre la carte d’un monde inconnu, les deux jeunes filles se prennent
à rêver à une possible liberté. Mais ce rêve est bientôt menacé par
l’annonce du mariage de Gia. Le temps presse, elles doivent fuir. Or,
pour atteindre ce monde mystérieux qui cristallise leurs espoirs, toutes
deux doivent traverser les Régions Libres, un territoire effrayant où
cohabitent hordes barbares et créatures monstrueuses, issues de la
matière même de l’obscurité.
Une dystopie lunaire, un entre-monde de cuivre et de ténèbres, peuplé d'ombres et de chimères.
une réflexion profonde sur la liberté et sur la condition féminine.
*
Près de moi, je perçois la
tiédeur d’Arienn, ma petite sœur ; son souffle régulier s’élève dans la
cellule que nous partageons au sein du gynécée. Son innocence me rassure. Elle
est encore trop jeune pour être la proie de la noirceur et connaître son
étreinte poisseuse, qui altère nos âmes et nos corps. Normalement, nous sommes
épargnées jusqu’à la puberté, mais mon père, Caspian, qui travaille pour
les Sept dirigeants de notre cité, dit que les Ténèbres
se manifestent parfois plus tôt, de manière sournoise. La curiosité et la
dissimulation en sont les premiers signes. Un jour, je m’en souviens, il a
comparé ces souillures précoces aux parasites qui croissent dans l’estomac des
bêtes et les empoisonnent. Si nul ne perçoit leur présence et n’élimine
l’animal responsable, le mal se propage et le troupeau entier risque la mort.
Selon lui, il en va de même
avec nous autres, sang-de-lune : il faut nous surveiller étroitement, et
ce depuis notre plus jeune âge, pour éviter que nous ne pourrissions et
infections les autres avec nos idées.
Cela me trouble.
Arienn n’est qu’une enfant. Soupçonner
qu’elle porte en son sein le germe de l’obscurité, voire qu’il est déjà trop
enraciné pour la guérir me semble inconcevable. Et pourtant…
Ma petite sœur ne serait pas la
première à être pendue ou exposée dans les tunnels sombres, malodorants et à
mourir de faim, proie de l’obscurité et des monstres qui s’y terrent, victime
de la barbarie des hordes qui rôdent à la lisière de la cité. Comment réagirais-je,
si Arienn était jugée trop dangereuse pour la communauté ? Je pleurerais
beaucoup, j’imagine. Mais je finirais par m’incliner et accepter le verdict et
le châtiment. Parce que je n’ai pas le choix. Parce que c’est écrit dans les Lois d’Alta, qui définissent les règles
de notre société.
Sans la justice des hommes, les femmes se laissent aller à leur
instinct et à la fourberie de leur nature impure. Ainsi, elles permettent aux
Ténèbres de croître en elles et de corrompre leur âme.
J’ai beau connaître les traditions
et leur raison d’être, pour Arienn, je me demande si je n’aurais pas la
tentation de me dresser contre les autorités pour la défendre, la protéger.
Tentation ? Courage ?
La frontière me semble bien fragile, cette nuit.
En frissonnant, je remonte le
drap de toile jusqu’au bas de mon visage et je ferme les yeux. Je me bats
contre ces idées folles, ces pensées impossibles qui me sont soufflées par les
ombres qui m’habitent. Instinctivement, je presse le pouce contre le glyphe qui
a été tatoué à la naissance de mon épaule pour les emprisonner. C’est une
spirale formée de sept cercles noirs. En son centre, une minuscule perle de
cuivre, qui représente le soleil, mais également l’autorité paternelle. Lors de
mes noces, celle-ci me sera arrachée par l’homme qui me prendra comme épouse. Un
autre piercing ou une scarification la remplaceront s’il choisit de me garder
dans sa maison.
Je me souviens de la cérémonie
durant laquelle a été réalisé mon tatouage. Elle s’est déroulée dans cette
demeure. Mon père et ma grand-tante, Vania, ont officié. À mes côtés, se
tenaient ma cousine Rozenn et Cora, une voisine devenue féconde en même temps
que nous. Vania a préparé l’encre et les aiguilles. Mon père les a plongées
dans les flammes ardentes d’un brasier afin de les purifier. Vania s’est mise
au travail. Brûlures, picotements ; au bout d’un moment, la sensation que
ma peau était une plaie à vif, sans toutefois ressentir la douleur comme
mienne ; puis, les dernières paroles d’une longue prière et l’épingle de
métal enfoncée d’un coup sec dans ma chair.
Un éclat de feu
Pour repousser les Ténèbres
Au cœur de la chair
De celle qui les accueille
De celle qui les nourrit
Faible par nature
J’ai crié. Par ma voix, les
échos du mal, qui s’étaient multipliés avec mon premier sang, ont exprimé leur
rage et leur impuissance. La perle d’or roux a scellé le rituel.
La fièvre a duré une semaine.
La souffrance, d’autant plus longtemps que je touchais sans arrêt le glyphe,
redoutant la peine, ne pouvant cependant m’empêcher de la rechercher.
Aujourd’hui, près d’une année s’est écoulée, mais je continue d’éprouver une
gêne imperceptible à ce contact. Une gêne familière et rassurante : tant
qu’elle est là, rien de mauvais ne peut s’échapper ou prendre le contrôle de
moi. Du moins, j’aime à le croire.
De nouveau, mes yeux se
ferment. Je pars à la dérive, sombre dans un sommeil agité.
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