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mardi 4 décembre 2018

Vents de révolte...

Extraits de A Cœurs battants (Gulf Steam éditeur, coll. #Échos )



Apolline
Pourtant, une part d’elle-même ne regrette rien : les enjeux de ce rassemblement sont trop importants. Il s’agit de résister à l’esclavage, à l’emprisonnement, à la destruction programmée du monde par les puissants. Les parents, inquiets à l’idée qu’Harley et elle soient arrêtés, frappés, gazés, blessés par des tirs de flashballs ou des grenades anti-émeute, leur ont défendu de participer aux manifestations qui s’enchaînent, toujours plus violentes, depuis le début de l’automne. Mais ce qui se passe aujourd’hui est trop grave. Apolline n’a pas encore seize ans et, même si la plupart des gens la considèrent comme une gentille fille un peu rêveuse, un peu trop dispersée, cela ne l’empêche pas de réfléchir, d’avoir peur de ce qui se dessine à l’horizon, de s’indigner contre les décisions de justice qui font de la solidarité un délit. Et puis, Samia, la vlogueuse dont elle suit l’émission avec passion, a dit que
cette journée de marche nationale contre les inégalités, l’inhumanité et le mépris des puissants – ceux qu’elle nomme les Injustes –, serait l’une des plus énormes de l’automne. Alors, elle a décidé de profiter de leur voyage de PACS pour braver l’interdit parental. Harley n’a pas hésité, tout excité à l’idée d’exercer sur le vif ses talents de photographe. JB, lui, a réfléchi, calculé, prévu toutes les éventualités pour éviter d’être pris au dépourvu. Au début du cortège, Apolline et Harley ont suivi son plan.
Ensuite…
Le son strident des sirènes résonne dans le crépuscule...

Samia
— Salut les gens, c’est moi ! Physiquement, je ne suis pas au top, comme vous pouvez le voir, mais voilà, au pire ça vous donne une bonne idée de ma tronche au saut du lit ! Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? Gaz, pavés, panique, je me suis retrouvée tête la première dans une flaque d’eau… Je ne sais pas ce que reportage donnera une fois monté, mais faut bien se lancer. Paris, République. Postmanif,
post-menace terroriste… Il y a pas mal de tracts, sur le sol… Une banderole toute froissée… 
Samia coupe, le temps de la déplier.
ON AVAIT UN MEILLEUR SLOGAN MAIS IL ÉTAIT TROP COMPLEXE
Humour décalé. Elle le photographie, en plus de quelques autres, des flyers en bouillie appelant à la révolution sociale, à une marche nationale sur l’Élysée, à la fin de l’état d’urgence – au vu de ce qui s’est passé ce soir, c’est plutôt mal barré. Discrètement, elle commence à effectuer le tour de l’esplanade, prenant garde de rester à bonne distance des flics, démineurs, spécialistes qui sont regroupés près de la bouche principale du métro. Elle vole quelques clichés de la République en mode fin du monde, s’attarde sur une affiche miraculée collée contre un réverbère. 
— Je vous fais un état des lieux ? On se croirait dans Walking Dead, les zombis en moins, quoique… Ce qui reste, ce sont les mots. Les canettes vides et les flyers pourris aussi, vous me direz. Sauf qu’ils appartiennent au décor… Alors que ces phrases… Je lis et je filme en même temps, d’accord ?… Loi travail, non merci ! Ni esclaves ni soumis !… Il y en avait plein d’autres, cet aprem. Mais comme ma caméra est partie au paradis du Hi-Fi, je ne peux pas vous les montrer. De mémoire, il y avait : état d’urgence, résistance, les fainéants contre l’effet néant, désarmement nucléaire, mineurs en errance : assistance… J’en oublie plein ! Ce que je peux vous dire c’est que cette manif contre les Injustes et leurs potes, c’était multiculturel et multigénérationnel…
Samia reprend son souffle. Au centre de la place, la Marianne de marbre semble maculée de noir.

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