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jeudi 13 décembre 2018

BOUGEONS-NOUS!


Depuis novembre, lycéen.ne.s et collégien.ne.s manifestent, la plupart soutenu.e.s par  leurs enseignant.e.s. Pourquoi ? Parce que, depuis dix-huit mois, le ministère de l’éducation nationale enchaîne les violences à l’encontre de cette population, ces jeunes qui  (« cassent tout, ne lisent pas ne sont pas, ne font pas, etc. » rayez la mention inutile) … aimeraient juste faire des études, ou du moins envisager un avenir qui ne se réduise pas à des rêves piétinés, encore moins s’ils n’ont pas la chance d’être nés dans une région non sinistrée, ou dans une ville plutôt que dans les quartiers, comme on dit pudiquement.

La note de service n° 2018-109 précise que seules sept spécialités qualifiées de « plus classiques » doivent pouvoir être accessibles pour chaque lycéen de la voie générale, non pas dans son lycée, mais dans un périmètre « raisonnable ». Mais ni SI ni NSI ne figurent parmi ces « classiques ». Qualifiées de « plus spécifiques », elles « feront l’objet d’une carte académique, voire nationale », comme si la connaissance du numérique ne pouvait pas être aujourd’hui utile dans la plupart des formations supérieures, y compris littéraires, et des métiers. Hors des zones bénéficiant d’un réseau dense d’établissements, les jeunes n’ont donc aucune garantie d’accès? (Philippe Askenazy, Les économistes atterrés)

En clair : mieux vaut habiter en ville qu’à la campagne, et si possible dans un quartier riche et bien pourvu, plutôt que dans une périphérie ou un « territoire » dépourvu de transports en commun…

On voit se dessiner, en plus du spectre de Thatcher, la misère de la scolarité à l’américaine, vue dans la série Sur Écoute ou, très récemment, dans le roman Detroit, de Fabien Fernandez.  
Parcours Sup, d’abord. Stages militarisés pour le personnel de direction. Parachutage d’un proviseur-adjoint venu tout droit de la gendarmerie dans un lycée de Stains. Suppression croissante de postes d’enseignants. 12000 prévus pour 2019. Possibilité d’employer un personnel enseignant de moins en moins qualifié. Démantèlement programmé du système scolaire, façon Angleterre des années Thatcher.  Et ce matin, j’apprends via les réseaux qu’après la vague de #pasdevagues largement utilisée par le ministère pour faire taire le monde enseignant, un projet de loi vise carrément la liberté d’expression de ces mêmes professeurs.

Art. L. 111-3-1 - Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels.

Ça paraît anodin, comme ça. Mais ce que cela signifie, dans l’étude d’impact de ce projet de loi, c’est :

"Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire. Ces dispositions pourront également être utilement invoquées par l’administration dans les cas de violences contre les personnels de la communauté éducative ou d’atteintes au droit au respect de leur vie privée, notamment par le biais de publications sur des réseaux sociaux".

(Toutes les références sont puisées dans cet article de François Jarraud).
Je surligne, parce que pour  le reste, en fait c’est déjà le cas, les violences et les atteintes à la vie privée des personnes sont déjà punies par la loi. Là, ce qui est en jeu, c’est le devoir de réserve. Devoir de réserve (réel, du personnel encadrant) qui devient atteinte à la liberté d’expression et d’information, et transforme donc le système scolaire en  outil de propagande au service du pouvoir.

Cette perspective est glaçante. Autrice et lectrice d’anticipation, de dystopie, je ne peux qu’imaginer l’arme que devient une telle loi entre les mains d’une dictature – d’extrême-droite, au hasard (puisque le Front national est l’épouvantail qu’agitent les médias et les politiques dès qu’il y a une élection).
Je pense ainsi à Journal De nuit, de Jack Womak, et plus récemment Les Vigilantes, de Fabien Clavel.
À l’inquiétude et à la colère justifiées de ces milliers d’adolescents, d’étudiants, enseignants, le gouvernement n’a qu’une réponse : la violence. Gaz lacrymogènes, tirs de flashballs, arrestations arbitraires, gardes à vue et humiliations – la vidéo tournée par ce policier à Mantes La Jolie a fait le tour des réseaux, inutile de revenir dessus.

L’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dit :
1. Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.
2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.

Cette déclaration universelle, que le gouvernement foule aux pieds depuis 18 mois qu’il est en place, nos jeunes et tous ceux qui manifestent aujourd’hui - avec ou sans étiquette-, se battent pour qu’elle soit respectée. Et il est navrant d’entendre ou de lire çà et là sur les réseaux sociaux qu’ils l’ont cherché, qu’ils ont ce qu’ils méritent, après tout ils savaient ce qu’ils risquaient…
C’est leur avenir qui est en jeu. C’est aussi le nôtre.

Sans financement
Sans liberté d’expression
Sans éducation
Sans droit
Comment, pourquoi liraient-ils nos livres – et lesquels, d’ailleurs, si la machine infernale de l’administration se mêle de décider ce qui doit être lu ou non ?

Au-delà de cela, pouvons-nous encore, auteur.ice.s, éditeur.ice.s, libraires, écrire, publier, diffuser des ouvrages à destination de la jeunesse, des adolescents et des jeunes adultes et continuer à nous taire face à ces violences politiques et physiques ? Pouvons-nous encore écrire, publier, diffuser des ouvrages à destination de la jeunesse, des adolescents et des jeunes adultes et les voir crever la bouche ouverte, asphyxiés par les lois, les ministres d’un pays qui ne les aime pas ?
La semaine prochaine, je rencontrerai une classe de collégiens. Je veux pouvoir les regarder en face et me dire qu’au moins, même si ce ne sont que des mots couchés sur du papier, je les soutiens.
Je termine ce billet en  appelant mes collègues et ami.e.s, mes éditeur.ice.s et tous les gens de nos professions à soutenir, collectivement, massivement, par leurs mots, leurs actes, à la manière qu’ils le souhaitent, les mouvements lycéens.  

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