Depuis novembre, lycéen.ne.s et collégien.ne.s
manifestent, la plupart soutenu.e.s par leurs
enseignant.e.s. Pourquoi ? Parce que, depuis dix-huit mois, le ministère
de l’éducation nationale enchaîne les violences à l’encontre de cette
population, ces jeunes qui
(« cassent tout, ne lisent pas ne sont pas, ne font pas, etc. » rayez
la mention inutile) … aimeraient juste faire des études, ou du moins
envisager un avenir qui ne se réduise pas à des rêves piétinés, encore moins s’ils
n’ont pas la chance d’être nés dans une région non sinistrée, ou dans une ville
plutôt que dans les quartiers, comme on dit pudiquement.
La note de service n° 2018-109 précise que seules sept
spécialités qualifiées de « plus classiques » doivent pouvoir être accessibles
pour chaque lycéen de la voie générale, non pas dans son lycée, mais dans un
périmètre « raisonnable ». Mais ni SI ni NSI ne figurent parmi ces « classiques
». Qualifiées de « plus spécifiques », elles « feront l’objet d’une carte
académique, voire nationale », comme si la connaissance du numérique ne pouvait
pas être aujourd’hui utile dans la plupart des formations supérieures, y
compris littéraires, et des métiers. Hors des zones bénéficiant d’un réseau
dense d’établissements, les jeunes n’ont donc aucune garantie d’accès? (Philippe Askenazy, Les économistes atterrés)
En clair : mieux vaut habiter en ville qu’à la campagne,
et si possible dans un quartier riche et bien pourvu, plutôt que dans une
périphérie ou un « territoire » dépourvu de transports en commun…
On voit se dessiner, en plus du spectre de Thatcher, la
misère de la scolarité à l’américaine, vue dans la série Sur Écoute ou, très récemment, dans le roman Detroit, de Fabien Fernandez.
Parcours Sup, d’abord. Stages militarisés pour le
personnel de direction. Parachutage d’un proviseur-adjoint venu tout droit de
la gendarmerie dans un lycée de Stains. Suppression croissante de postes d’enseignants.
12000 prévus pour 2019. Possibilité d’employer un personnel enseignant de moins
en moins qualifié. Démantèlement programmé du système scolaire, façon
Angleterre des années Thatcher. Et
ce matin, j’apprends via les réseaux qu’après la vague de #pasdevagues
largement utilisée par le ministère pour faire taire le monde enseignant, un
projet de loi vise carrément la liberté d’expression de ces mêmes professeurs.
Art. L. 111-3-1 -
Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative
contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et
leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le
respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de
l’ensemble de ses personnels.
Ça paraît anodin, comme ça. Mais ce que cela signifie,
dans l’étude d’impact de ce projet de loi, c’est :
"Il en ira par exemple ainsi lorsque des
personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public
par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de
manière générale l’institution scolaire. Ces dispositions pourront
également être utilement invoquées par l’administration dans les cas de
violences contre les personnels de la communauté éducative ou d’atteintes au
droit au respect de leur vie privée, notamment par le biais de publications sur des réseaux sociaux".
(Toutes les références
sont puisées dans cet
article de François Jarraud).
Je surligne, parce que pour le reste, en fait c’est déjà le cas, les
violences et les atteintes à la vie privée des personnes sont déjà punies par
la loi. Là, ce qui est en jeu, c’est le devoir de réserve. Devoir de réserve
(réel, du personnel encadrant) qui devient atteinte à la liberté d’expression
et d’information, et transforme donc le système scolaire en outil de propagande au service du pouvoir.
Cette perspective est glaçante. Autrice et lectrice d’anticipation,
de dystopie, je ne peux qu’imaginer l’arme que devient une telle loi entre les mains
d’une dictature – d’extrême-droite, au hasard (puisque le Front national est l’épouvantail
qu’agitent les médias et les politiques dès qu’il y a une élection).
Je pense ainsi à Journal
De nuit, de Jack Womak, et plus récemment Les Vigilantes, de Fabien Clavel.
À l’inquiétude et à la colère justifiées de ces milliers
d’adolescents, d’étudiants, enseignants, le gouvernement n’a qu’une réponse :
la violence. Gaz lacrymogènes, tirs de flashballs, arrestations arbitraires,
gardes à vue et humiliations – la vidéo tournée par ce policier à Mantes La
Jolie a fait le tour des réseaux, inutile de revenir dessus.
L’article 26 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme dit :
1. Toute personne a
droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui
concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire
est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé
; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en
fonction de leur mérite.
2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.
2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.
Cette déclaration universelle, que le gouvernement foule
aux pieds depuis 18 mois qu’il est en place, nos jeunes et tous ceux qui manifestent aujourd’hui - avec ou sans
étiquette-, se battent pour qu’elle soit respectée. Et il est navrant d’entendre
ou de lire çà et là sur les réseaux sociaux qu’ils l’ont cherché, qu’ils ont ce
qu’ils méritent, après tout ils savaient ce qu’ils risquaient…
C’est leur avenir qui est en jeu. C’est aussi le nôtre.
Sans financement
Sans liberté d’expression
Sans éducation
Sans droit
Comment, pourquoi liraient-ils nos livres – et lesquels,
d’ailleurs, si la machine infernale de l’administration se mêle de décider ce
qui doit être lu ou non ?
Au-delà de cela, pouvons-nous encore, auteur.ice.s,
éditeur.ice.s, libraires, écrire, publier, diffuser des ouvrages à destination
de la jeunesse, des adolescents et des jeunes adultes et continuer à nous taire
face à ces violences politiques et physiques ? Pouvons-nous encore écrire,
publier, diffuser des ouvrages à destination de la jeunesse, des adolescents et
des jeunes adultes et les voir crever la bouche ouverte, asphyxiés par les
lois, les ministres d’un pays qui ne les aime pas ?
La semaine prochaine, je rencontrerai une classe de
collégiens. Je veux pouvoir les regarder en face et me dire qu’au moins, même
si ce ne sont que des mots couchés sur du papier, je les soutiens.
Je termine ce billet en appelant mes collègues et ami.e.s, mes éditeur.ice.s
et tous les gens de nos professions à soutenir, collectivement, massivement, par
leurs mots, leurs actes, à la manière qu’ils le souhaitent, les mouvements lycéens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire