Foulard humide plaqué sur le
visage, capuche rabattue sur la tête, Harley tente de rattraper sa sœur et JB, manteau
gris et manteau cobalt qui filent à toute allure, droit devant eux. Il s’est
arrêté, une minute, pour ranger dans son sac le bel objectif de son
appareil-photo, bien trop fragile pour supporter la mêlée.
Il aurait dû réfléchir trente
secondes. Le temps perdu a suffi à les séparer.
En dépit du voile mouillé qui
le protège, les gaz irritent sa gorge, lancent ses muqueuses et des larmes
coulent abondamment de ses yeux. Quelqu’un le bouscule. Il perd l’équilibre, se
rattrape de justesse bras tendus comme un aveugle, relève la tête : sa
demi-sœur et leur ami ont définitivement disparu, avalés par le brouillard et
la cohue.
— Et merde, souffle-t-il.
Son dépit est bref : sans
eux, l’adolescent peut aussi prendre
le temps de réaliser quelques prises, sur le vif, de cette manifestation
métamorphosée en champ de bataille. Si ses images parviennent à exprimer la
confusion, la peur, l’exaltation, la violence et la rage ambiantes, ses profs
seront peut-être impressionnés par son travail de terrain ! Une silhouette
anonyme et noire se détache de la masse affolée, une grenade fumigène à la
main. Vite ! Il ne dispose que de quelques secondes pour saisir l’instant.
Instinct, ses mains s’emparent de son Reflex, son appareil devient le
prolongement de son œil – clic ! Une première photo. Clic ! Une autre.
Déjà, l’inconnu s’efface, vision fantomatique qui s’évapore dans la brume
couleur de cendres.
Autour de lui, c’est la panique.
Les hurlements, les sirènes, le martèlement de milliers de pas, les tirs
répétés d’armes anti-émeute et d’armes lacrymogènes. Un peu étourdi, il s’accroche
à la tache rose vif qui louvoie à quelques mètres devant lui. Guidé par la
couleur, Harley accélère, s’efforce de ne pas perdre sa trace – peine perdue. Désorienté,
il se laisse porter par le flot humain, tente d’effectuer quelques clichés,
renonce rapidement. Des rugissements de rage, le tonnerre d’un assaut, le
fracas d’une grenade, trop proche – et la douleur qui le plie en deux. Souffle
coupé, il tombe à genoux sur le pavement souillé. Des étoiles dansent devant
son visage. Il examine son ventre : rien. Quant à son précieux Reflex, il
n’a pas été touché.
À quelques mètres de lui, une
forme recroquevillée gémit doucement. Harley se précipite, pose la main sur l’épaule
du blessé. Celui-ci tourne la tête vers lui. Il est âgé d’une vingtaine
d’années, peut-être. Il possède des traits fins, d’immenses yeux bleus, rougis
par les larmes et les fumées. Le cœur de Harley manque un battement. Il a le
sentiment d’avoir trouvé un ange au milieu de cet enfer policier.
— Tu peux te lever ?
— Je… Je crois répond
l’inconnu. C’est juste que… Entre les grenades et les tirs, j’ai du mal à
respirer.
Sans réfléchir, l’adolescent
ôte son foulard et le noue autour de son visage.
— J’ai des gouttes pour les
yeux, aussi, propose-t-il.
— Ça ira, merci.
Haley l’aide à se remettre sur
ses pieds, glisse son bras sous son épaule.
— Je m’appelle Louis. Et
toi ?
— Harley.
— Les revoilà ! On
court ?
Ils s’élancent, collés l’un à
l’autre pour se soutenir, parce qu’ils se sentent plus forts ainsi. Ils
réussissent à esquiver une unité : en armures luisantes, caqués, matraques
en main, les CRS passent à trois mètres d’eux. Plus loin, des manifestants
révoltés tentent de forcer un barrage de boucliers pour fuir l’immense place en
proie au chaos.
Ils s’arrêtent, tentent de
reprendre leur souffle. Impulsion, Harley allume son appareil-photo, cadre le
visage angélique de son compagnon, appuie. Et encore. Et encore.
— Tu aurais pu me demander !
s’exclame celui-ci.
— Tu veux les voir ?
— Plus tard ! Là, il va
falloir qu’on trouve une solution, et vite, étant donné que toutes les issues
sont bloquées, siffle Louis...
Voilà. C'est Harley ! Séparé de sa demi-sœur et de son meilleur ami, il tente de quitter la place de la république, transformée en enfer par les affrontements et les lacrymos.
#acoeursbattants #onvautmieuxqueça
tiens le retour des dolls :)
RépondreSupprimernb : sinon je suis en pleine lecture et c'est génial !