Je n’ai pas tout à fait terminé Les émotions des animaux, de Mark Bekoff
– mais presque. J’ai en revanche terminé Ce
que les chevaux ont à nous dire, d’Antoinette Delylle il y a une semaine.
Deux ouvrages très différents, le second, recueil de témoignages, le premier,
essai d’éthologie cognitive, qui tous deux, peut-être parce qu’ils confirment mes
intuitions, m’apportent énormément. Les
animaux ressentent-il des émotions ? Sont-ils capables de sentiments ?
Est-ce de l’anthropomorphisme, que de
dire qu’un cheval ou un chat (je « parle » de ceux que je connais le
mieux) éprouvent de la joie, de la tristesse, de la jalousie, de l’affection ?
Non, ou plutôt si… Et tant mieux,
puisque nous partageons des émotions semblables et que nous sommes
capables de nous comprendre. Tant mieux puisque l’une des meilleures manières d’appréhender
le monde animal est de raisonner par analogie. Un exemple ?
Les hommes éprouvent des émotions
qui peuvent être liées à certaines structures cérébrales, et comme les animaux
ont des structures cérébrales identiques ou similaires, ils connaissent des
états affectifs similaires. (Bekoff, Les
émotions animales, p 80)
Un exemple, développé par Bekoff, qui en a
fait l’un de ses sujets d’étude : le jeu. Il existe chez les animaux des ce
qu’il appelle « play bow », des invitations à jouer se traduisant par
des postures caractéristiques, compréhensibles par tous (humains comme animaux,
d’espèces différentes ou pas). Ainsi, quand Quevedo me regarde en faisant les
gros yeux, limite frétillant, je sais qu’il veut jouer « à chat ». Et
quand je siffle deux fois, à La Rochelle, il grimpe l’escalier à toute blinde
et saute sur la poutre. Je ne lui ai pas appris à faire ça, je ne l’ai pas
dressé à acquérir un automatisme (d’ailleurs il ne le fait pas toujours…) mais
c’est la règle du jeu. Quand Keyrann (380 kg de bonheur…), en liberté, me fonce
dessus et m’évite au dernier moment, se cabre juste devant moi, c’est du jeu –
du jeu mode étalon, mais du jeu quand même. Après, je suis plus ou moins
fatiguée, plus ou moins capable de gérer, mais c’est moi…
Fin de digression. Retour à la
case « commentaire de texte ». Avec des chevaux, bien entendu. Ce que
j’ai apprécié, dans l’ouvrage de Delylle, c’est qu’il est à la fois cohérent
(le fond est le même : apprendre, écouter, aimer, se rmettre ecnore et
toujours en question) et très diversifié : chaque témoignage, qu’il s’agisse
de celui de Bartabas, de Catherine Senne ou de l’auteure, apporte de l’eau au
moulin de l’équitation : chaque cheval est un individu, avec une
personnalité différente, des goûts différents. Aucune méthode d’apprentissage n’est
universellement valable (et la philosophe qui est en moi jubile, en pensant à
ce qu’écrit Descartes dans son Discours
à propos de sa « méthode » : il ne s’agit pas de l’appliquer
bêtement à tous, mais de faire l’effort, individuellement, de l’éprouver…
sachant qu’elle ne sera pas nécessairement identique et valable pour tous… J’adore
d’autant plus ce passage qu’il est extrêmement méchant, bref…) : il faut
sans cesse s’adapter, se remettre en question, se dire que bon, Pitchoun n’a
pas la bosse du dressage, mais semble beaucoup plus doué à l’extérieur – par exemple.
Le dernier article, qui évoque une approche thérapeutique du cheval, m’a
profondément bouleversée.
Les animaux ressentent un large
éventail d’émotions, dont les six universelles de Darwin : la colère, le
contentement, la tristesse, le dégoût, la peur et la surprise. […] Les animaux
peuvent être courageux, timides, joueurs, agressifs, sociables, curieux,
équilibrés ou sympathiques ; ils peuvent être extravertis, introvertis,
dominants ou soumis. Les différences d’un individu à l’autre et d’une espèce à
l’autre rendent l’étude des émotions animales plus ardue, plus ambitieuse, mais
aussi, plus passionnante… (Bekoff, Les
émotions animales, p 90-91)
Le parcours de Bekoff (ai-je
signalé que son ouvrage est préfacé par la grand Jane Goodhall ?) est
intéressant : au départ, il étudiait les animaux en laboratoire. C’était
des objets d’étude, fort différents des animaux qu’il avait chez lui. Et donc,
il n’était censé ni les nommer ni s’y attacher puisque les bêtes, désignées par
des numéros, devaient de toute façon finir disséquées. Ça a duré jusqu’au jour
où il a étudié un chat, un chat qu’il a appelé (malgré les consignes, donc)
Speedy, et qu’il a été obligé de tuer. Un chat dont il a croisé les yeux, au
dernier moment. Bekoff s’est tourné vers l’éthologie cognitive : il a d’ailleurs
fondé avec Jane Goodhall Ethologists For The Ethical Treatment Of Animal. Il retrace
l’histoire dans son essai de l’éthologie, des critiques dont elle a fait l’objet
« on ne peut pas dire qu’un animal pense/ ressent/ etc. », des
obligations scientifiques du « comme si » (ne pas écrire, mon chat s’amuse
mais c’est comme s’i mon chat s’amusait), puis, aujourd’hui les mentalités qui changent,
le fait de pouvoir écrire sans se prendre la communauté scientifique sur le dos :
cet éléphant est malheureux.
Cette longue histoire critique de
l’éthologie et du rapport des sciences du comportement aux animaux m’a fait
penser par bien des aspects aux travaux de Vinciane Desprets, qui fait de l’éthologie
d’éthologistes… Dans Penser comme un rat
et dans La Danse du cratérope écaillé,
elle prend plusieurs fois les scientifiques comme sujet/objet d’étude, et
montre qu’aucune de leurs grandes théories, en particulier quand elles sont
liées à l’étude de l’altruisme, ne sont
absolument objectives : il y a toujours de l’interprétation humaine,
dedans. Autrement dit, de l’anthropomorphisme (de tête, un scientifique de
gauche aura tendance à penser : ces rats coopèrent parce qu’ils sont
altruistes et un scientifique de droite dira : ils coopèrent pour
défendre leurs intérêts propres). Bien sûr, Bekoff passe beaucoup de temps à
justifier son propos – un grand zoologue a dit que, une grande biologiste a écrit
que – et c’est parfois un peu lourd, mais c’est essentiel – après tout, lorsqu’on
écrit une thèse, on passe son temps à se référer à d’autres pour donner plus de
poids à ce que l’on soutient. D’autant plus essentiel, que nous vivons dans un
monde où le registre de l’émotion, du sentiment, de l’empathie – oserais-je
rajouter de l’imaginaire ? – est systématiquement dénigré au profit du
chiffre, de la prétendue objectivité, du rendement.
De mémoire, encore, il me semble
que Michel Terestchenko, dans Un si
fragile vernis d’humanité, montre de façon très intéressante l’avènement,
au XIXème siècle du modèle économique actuel à travers l’étude de
philosophes comme Hobbes et de courants de pensée pour lesquels les rapports
humains sont nécessairement fondés sur la volonté de puissance et l’intérêt, l’altruisme
n’existe pas et la notion d’harmonie est une vaste plaisanterie… Je ne
suis pas à la maison, là donc je n’ai pas les passages sous les yeux, mais c’est
passionnant.
Ethologie et philosophie au menu,
donc.
Voilà, alors ce long article est
incomplet, survole trop de choses mais là, j’ai vraiment un chapitre à écrire
et un timing serré.
Si vous vous intéressez à l’éthologie,
je vous conseille donc de lire :
Les émotions des animaux, de Mark Bekoff.
Penser comme un rat, de Vinciane Desprets.
Aux chevaux :
Ce que les chevaux ont à nous dire, d’Antoinette Delylle.
Et parce que cela ne fait jamais
de mal de réviser ses classiques :
Un si fragile vernis d’humanité, de Michel Terestchenko et Femmes qui courent avec les loups, de
Carola Pinkola Estes.
Il y a un lien. Je vous le
promets.
... et toi quand il miaule tu accours ...ça compte ? :)
RépondreSupprimerOui, ça fait partie du jeu... et tu noteras que je ne viens pas toujours, hi hi!!!
RépondreSupprimergénial ! ça donne envie de le lire !! (et ils aiment bien nous protéger et savoir qu'on les protège aussi ^^)
RépondreSupprimeroui, tout à fait.
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