Je me souviendrai toujours d'une table ronde autour de la fantasy historique, à Ville-Tanneuse, pendant laquelle, Pierre Pevel, interrogé sur le mélange histoire et fiction (à propos de sa trilogie Wieldstadt) expliquait qu'un féru d'histoire lui avait reproché l'inexactitude du couchage de son chevalier - en 1630, en Allemagne, on utilisait des couettes, non des draps - mais ne s'était pas formalisé du tout de la présence d'un dragon et de créatures zombiesques dans la ville. Cela m'avait marquée, parce qu'à l'époque, je commençais à travailler sur Noire lagune et j'étais plongée dans la documentation jusqu'au cou.
Le plus difficile, quand on fait un travail de recherches - cela vaut autant, d'ailleurs, pour la littérature historique que pour la littérature contemporaine, pour la fantasy que pour le thriller -, c'est de savoir dire stop. Stop, ce que j'écris, ce n'est pas un essai mais une fiction. Une fiction, oui. C'est-à-dire une histoire, dont le but premier n'est pas de donner un cours d'histoire, d'escrime, de criminologie, etc. (rayez les mentions inutiles) mais d'emporter le lecteur, de le faire rire, pleurer, trembler, de le mettre en colère et bien sûr, de le faire rêver. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie, pour reprendre l'exemple donné par Pierre, que si le chevalier de Wieldstadt dort dans des draps (rêches et blancs), non dans une couette, ce n'est pas important - voire, que cela lui correspond plus (c'est un ascète...) Cela veut dire que mes courtisanes vénitiennes n'ont ni poux ni puces ni syphilis, parce que cela n'apporte rien, parce que ce n'est pas le sujet. Cela veut dire que, dans un thriller, ce n'est pas très important de savoir si le héros ou l'héroïne, qui a passé sa journée à boire café sur café, va aux toilettes avant de fuir son ennemi le tueur psychopathe (sauf si ça sert le scénario, mais vous voyez où je veux en venir).
J'avais appris le terme en 1995, en regardant Basic instinct : suspension d'incrédulité. Le pacte tacite passé entre le lecteur et l'écrivain : j'accepte la fiction, et tu m'emportes dans ton monde. Bien sûr,c ela ne signifie pas qu'il faille raconter n'importe quoi, d'ailleurs pour en revenir à Pierre, son roman est une mine d'or en matière de cryptographie, mais cela veut dire qu'il faut savoir lâcher prise. Des deux côtés.
C'est ce que je m'efforce de faire, en tant que lectrice. Bien sûr, parfois, il y a des "couacs" tellement énormes qu'ils sautent au visage (genre, monter un pur-sang arabe fougueux sans aucun souci après avoir en tout et pour tout comme expérience équestre une balade sur vieux quarter horse, au pas) , mais globalement, je me penche un peu en avant, je pose les rênes contre l'encolure et, quand ça déménage vraiment, je m'accroche à la crinière et me laisse emporter.
Ça ne m'empêche pas d'apprendre des choses au passage, ça me donne souvent envie de me renseigner sur tel ou tel point... mais c'est de la fiction et ce qui compte, c'est qu'à la fin, quand je descend de ma monture - le roman -, j'ai des étoiles dans les yeux, et une seule envie, recommencer. Quand j'ai envie d'apprentissage pur, de théorie, etc., je m'achète des essais historiques, sociologiques, philosophiques, éthologiques.Je les préfère fluides et bien écrits, mais je ne vais pas en faire une maladie si l'auteur est un peu aride (en revanche, le faux historien qui se la joue romancier, au secours, mais ceci est une autre histoire, isn't it ?)
En tant qu'auteure, je me renseigne beaucoup : pour Noire lagune, je me suis plongée dans Venise et son histoire, sa culture, sa cuisine et ses femmes, pour Venenum, j'ai héroïquement dévoré, en V.O, Der rätselhafte Tod des René Descartes de Theodor Ebert (La Mort mystérieuse de René Descartes, à l'époque non traduit), pour ma trilogie en cours d'écriture, chez Gulf Stream, je récupère toute la documentation que je peux sur les femmes peintres, et quand il s'agit d'écriture de thriller, je vais me renseigner aux sources : une amie commandante de police, par exemple. Après, je fais le tri. Je prends ce qui me semble le plus important et je laisse le reste de côté. Parfois, j'enjolive, j'oublie délibérément, bref, je fais des petits arrangements avec la réalité (d'ailleurs, peut-on parler de réalité quand on écrit sur le passé ? Vaste question...)... Mon job, pour parler à l'américaine, c'est de créer des licornes, pas de les disséquer.
Et puisqu'on en est aux licornes et aux dragons, je vous propose pour conclure une petite liste de lecture, sur le pouce : Wieldstadt (Pierre Pevel), Le Châtiment des flèches (Fabien Clavel), Ce qui nous lie (Samantha Bailly), Rouges ténèbres (Nicolas Cluzeau), Le Chevalier inexistant, (Italo Calvino). Quand réalité, fantasy, fiction et histoire se mêlent...
call her Violetta |
je suis entièrement d'accord. C'est pourquoi, je souris quand pour le jdr (en l’occurrence Necropolice) une critique va dire que notre Rio est trop cliché :)
RépondreSupprimer:)
RépondreSupprimerMoi qui lis essentiellement des fictions historiques jeunesse, je suis entièrement d'accord avec vous ! Et il y a de tout. Je suis adulte mais j'essaie de réagir comme un jeune lecteur et ce que je recherche avant tout, c'est le plaisir de lire, tout simplement. Mon rôle étant ensuite de mettre en avant le cadre historique évoqué, le degré de précisions. Mais je considère qu'un roman est très bon, s'il m'a transporté dans son histoire.
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