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samedi 9 juin 2018

Les Masques d'Azr'Khila (Shâhra - I) - Extrait

L’aube avait fui, laissant place à une lumière crue et à une chaleur étouffante. Même à l’abri des murs de sa chambre, Djiane transpirait, et chaque mouvement lui coûtait terriblement. Elle s’extirpa néanmoins de sa couche, effectua quelques étirements avant de se diriger, d’un pas décidé, vers les bains. Dans son dos, elle perçut les regards ennuyés de ses suivantes, contraintes de quitter le confort des méridiennes pour l’aider à se préparer. La jeune femme hésita : elle préférait se laver et s’habiller seule.
Toutefois, elle décida de les laisser la rejoindre, tant pour se venger de leur hypocrisie que pour se tenir au courant des derniers faits et gestes de sa belle-mère et de son insupportable fils. L’enfant, âgé d’un an à peine, se comportait déjà en tyran. Pour atteindre le hammam, il fallait traverser l’atrium, long d’une dizaine de qêben, avec la sensation de passer dans une fournaise.
Djiane poussa la double porte de bois noir incrusté de ferrures et pénétra dans une pièce éclairée par deux jours percés dans le plafond. Ses compagnes la rattrapèrent – plus vives qu’elle ne l’aurait cru. Sans doute la perspective de profiter de la douceur des parfums et de s’étourdir dans les volutes de vapeur.
— Samia, allume le poêle, ordonna Djiane.
Celle-ci, une fille aux étonnants yeux noirs, obéit. Mina, originaire d’un douar au sud d’Aïn Mên, se chargea de porter les seaux d’eau près du fourneau. Djiane attendit pour se déshabiller que Lenni, métisse nyambe aux traits fins, sorte de leur coffret de cuir le nécessaire de soins, savon noir, gants, huiles parfumées et brosse. Des fumerolles aux fragrances de miel envahirent peu à peu la salle. Assise sur un banc de pierre, Djiane s’aspergea d’eau chaude. Samia et Mina l’imitèrent. Lenni s’installa de l’autre côté de la source de chaleur, y versa de nouveau quelques gouttes d’essence de fleurs. Tout imprégnée encore de l’odeur de Riwan, de ses baisers, de ses paroles, Djiane ferma les yeux. Elle se rappela soudain les rimes de Lîla b’Rubya, la poétesse qui avait donné son nom à la rivière où elle s’était noyée.

Je voudrais prendre mon envol
Et m’enivrer de lumière
Alourdie par le poids des fers
Je demeure enchaînée au sol


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