Chose promise...
un petit bout de texte, pas de poème feel-good cette fois, j'ai un slam qui me démange mais encore trouvé le bon tempo - ni le cœur - de l'écrire. Alors, ci-dessous, je vous propose une ,nouvelle. Elle était parue dans l'anthologie Contes du monde, aux éditions du Riez, il y a quelques années. Écrite, si je me souviens bien sous influence d’Allemagne, année zéro. pas gaie du tout, donc...
Bonne lecture! (quand même...)
Vous pouvez l'écouter en lisant...
Nach dem Krieg
Doch als die Hexe zum Ofen schaut hinein
Ward sie gestoßen von Hans und Gretelein
Die Hexe musste braten, die Kinder gehen nach Haus,
Nun ist das Märchen von Hans und Grete aus.
Hänsel und Gretel – Kindslied
Des ruines. De la poussière. Sous les décombres, quand on
fouille, quelques trésors. Parfois. Le plus souvent, d’autres décombres, la
main raide et bleue d’un cadavre.
L’enfant porte, malgré la chaleur d’été, une casquette de
laine enfoncée jusqu’aux oreilles. Sa chemise – grise ? bleu ciel ? –
rapiécée est bien trop grande pour ses frêles épaules et son pantalon a été
taillé dans l’uniforme d’un soldat mort.
Hänsel und Gretel verlieren sich im Wald
Es war so finster und auch so bitter kalt..
Il fredonne cette vieille comptine. Pourtant, il n’a rien
trouvé aujourd’hui, pas même un mégot de cigarette, ou quelques bouts de
charbon. Il rentre bredouille, une fois encore. Alors il chante. Pas parce que
le soleil brille et le rend joyeux, malgré sa pauvreté, mais pour se donner du
cœur au ventre. Qui chante dîne. Qui chante n’a pas peur.
Sie kamen an ein Häuschen um Pfefferkuchen fein...
D’ailleurs, il n’y
a pas de raison d’avoir peur.
Le père sera déçu, c’est vrai. Le mère soupirera.
Mais ils ne diront rien. Non. Cette fois encore, ils ne
diront rien. Ils attendront le soir. C’est à ce moment-là que retentiront les
premiers éclats de voix, prémices de la dispute qui les oppose depuis – depuis
tellement longtemps. Le prétexte ? La mère sort, chaque soir, et ne rentre
qu’au matin. Cela commence toujours de la même façon. La mère revêt la jolie
robe à taille cintrée qu’elle lave et repasse presque tous les jours. Elle
chausse ses escarpins de cuir, les seuls en bon état. Elle applique
consciencieusement une couche de rouge à lèvres – très rouge – sur sa bouche.
Enfin, dernière touche, elle met une touche de parfum –vestige d’avant-guerre –
sur ses poignets et à la naissance de ses seins. Le père, affalé sur le
fauteuil miteux de ce qui leur sert de salon, l’aperçoit et la hèle. « Où
vas-tu, comme ça ? » « Tu le sais. » « J’ai honte,
honte de ce que tu fais, Greta ! » « Ce n’est pas comme si
j’avais le choix, Hans, puisque tu ne veux pas te rendre. Deux cartes de
rationnement pour trois, ça ne suffit pas, tu le sais. » « On m’a
mutilé, Greta ! Que crois-tu que feront ces salopards de bolcheviks, quand
ils me verront avec ma jambe amputée, hein ? Ces Russes, les types comme
moi, qui ne servent à rien, ils les fusillent. Ce sont des démons,
Greta… » « Tous ne sont pas Russes. Tu peux te rendre aux Américains,
au Français, même. Ils sont gentils, tu sais. Ils donnent souvent des
cigarettes, des chewing-gums… » « Traînée ! Putain ! »
Mais Greta est déjà sortie.
Wer mag der Herr wohl von diesem Häuschen sein...
Fouiller les décombres. Chaparder autant que se peut
quelques menus objets pour les revendre au marché noir. Rentrer et écouter le
père et la mère se quereller. Tel est le quotidien de l’enfant.
Un matin, pourtant, la mère ne rentre pas. Le père et
l’enfant l’attendent toute la journée. En vain. Quand vient le crépuscule, elle
n’est toujours pas là. Le père s’impatiente. L’enfant, inquiète, descend deux
étages et frappe à la porte d’Olga. Elle est grande et brune. Ses yeux sont
verts et son nez est constellé de taches de rousseur. Il y a de grosses fleurs
sur sa robe – rouges, comme son rouge à lèvres, comme celui de la mère.
Olga ouvre. Regarde l’enfant. Un instant lui suffit pour
comprendre.
— Entre, dit-elle de sa voix lasse, un peu cassée.
Elle referme la porte, un peu brusquement peut-être, et
s’allume nerveusement une cigarette.
— Cadeau d’un soldat, explique-t-elle à l’enfant qui
regarde le paquet avec envie et étonnement.
— Maman, où elle est ?
Olga inspire une bouffée, fixe un point invisible sur le
mur. Crache, longuement, la fumée âcre.
— Dis, Olga… maman, elle n’est pas…
Le mot est trop dur à prononcer. Il reste, coincé, dans sa
gorge. A la place, l’enfant sent monter les larmes. Elles brûlent ses yeux,
roulent sur ses joues sans qu’elle puisse les retenir.
— Ne pleure pas, Lorelei. Ta mère n’est pas morte. Elle
est partie, c’est tout. Un Américain, rencontré au hasard d’une sortie. Il est
reparti dans son pays, a emmené Greta dans ses bagages.
Lorelei dévisage Olga, interdite. Elle ne comprend pas. Ne peut pas comprendre.
La mère est partie, l’a laissée seule, avec le père infirme. Enfin, elle trouve
le courage de parler.
— Pourquoi ?
Timbre faible, presque inaudible.
Olga soupire.
Ecrase son mégot. S’assied, sur la table où trône l’énorme
cendrier. Invite l’enfant à s’installer
en face d’elle.
— Greta… Ta mère… Elle n’a pas choisi cette vie. Elle n’a
jamais voulu ce qui s’est passé.
— Ce qui s’est passé ? répète Lorelei.
— Le Führer. Le
Reich. Toutes ces imbécillités sur les races inférieures, supérieures et
la guerre. Ton père, lui, c’était un vrai soldat. Un qui ne discutait pas les
ordres. Un qui faisait du zèle…
— Il s’est battu tant qu’il a pu.
Impossible de savoir si Lorelei est fière ou non de cela.
— Ta mère n’était pas d’accord avec tout ça. Moi non plus,
d’ailleurs…
Lorelei reste quelques minutes sans rien dire. Elle se
souvient d’une voisine avec qui elle jouait, avant. Une fillette rousse qui
avait perdu ses dents de devant le même jour qu’elle. Et qui ne cessait, tout
comme elle, de vérifier avec le gras du pouce qu’elles allaient bien repousser.
Une fillette avec une étoile jaune, que sa mère lui avait interdit de revoir.
Une fillette que d’affreux soldats étaient venus chercher, un jour. Lorelei
avait couru pour l’aider. Sa mère l’avait retenue, giflée à toute volée.
— Si elle était pas d’accord, pourquoi…
— Pourquoi elle n’a rien dit ? Pourquoi elle n’a rien
fait ?
C’est au tour d’Olga, maintenant, de pleurer. De grosses
larmes qui emportent avec elle son maquillage et laissent sur sa peau des traînées
noires.
— La peur, Lorelei. La peur est la pire chose qui soit…
Elle s’insinue dans ton âme, et après, elle te suit partout… Même dans tes
rêves… Oui, la peur les transforme en cauchemar. Tu sais, Lorelei, la peur peut
changer un héros en lâche… Après, il y a la honte. Certains arrivent à vivre
avec, d’autres…
Elle s’interrompt, le souffle court. Pense à son fiancé
qui s’est suicidé. Non, comme Hans – cet imbécile d’estropié – l’a cru, par
loyauté envers Hitler, mais parce qu’il ne supportait plus le poids de ce qu’il
avait fait. Laissé faire. Accepté.
— Quel âge as-tu, Lorelei ? Onze ans ?
— J’aurais treize ans le neuf novembre.
— Tu es assez grande pour comprendre, alors. Ta mère est
partie pour oublier. Toi aussi, tu devrais t’en aller, Lorelei. Quitter cette
ville, cette vie… Laisse-moi, à présent.
Lorelei obéit.
Les jours passent. L’enfant a de plus en plus de peine à
trouver à manger. Les cartes de rationnement suffisent à peine pour les
nourrir, même depuis que la mère est partie. Il faut faire la queue pendant des
heures, éviter de se faire voler. Trop frêle pour se défendre, elle devient la
cible favorite de trois garnements plus âgés, qui lui volent ses maigres
ressources. Deux semaines après le départ de la mère, le père et l’enfant n’ont
plus rien à manger.
Un soir, le père la regarde fixement. Il est plus sale
encore que d’habitude. Une barbe mange son
visage émacié. Ses yeux sont brillants, fiévreux.
— Tu es si jolie, Lorelei qu’il est dommage de cacher tes
boucles blondes sous ce vilain chapeau. Avec ton sourire et tes fossettes, il
te sera bien plus facile de trouver de l’aide ou des gens pour t’aider,
crois-moi.
— Mais maman…
— Ta mère a eu tort, de vouloir te cacher sous ces hardes
de garçon. Que craignait-elle ? Qu’il t’arrive malheur ? Bah !
personne n’oserait s’en prendre à toi, ma petite Lorelei. Tu es bien trop
mignonne pour ça.
Lorelei a obéi. Elle a brossé ses cheveux jusqu’à ce
qu’ils brillent comme l’or. Elle a troqué la chemise et le pantalon contre sa
tenue du dimanche – la seule qui ne soit pas trouée. La robe, blanche et rose,
avec un joli col rond et des smocks, est un peu serrée, un peu courte mais
l’enfant rentre encore dedans. Alors, au matin, elle s’en va par les rues de la
cité bombardée chercher de quoi manger.
Hu ! Hu ! da schaut eine alte Hexe raus
Sie lockt die Kinder ins Pfefferkuchen aus...
Au début, Lorelei est ravie. Son père a raison : les
gens sont gentils avec elle et sourient. Mais, à mesure que la journée s’étire,
à mesure que les gros nuages gris des orages d’été se rassemblent au-dessus de
la ville dévastée, les sourires se font plus insidieux, les regards, plus
insistants.
Un individu gros et gras, au crâne chauve et huileux, à la
lippe rouge et aux énormes yeux globuleux, l’invite à prendre un chocolat chaud
dans un Konditorei, vestige
improbable de l’avant-guerre. Il accepte de l’aider, ne lui demande pas
grand-chose, en retour. Juste un baiser. Lorelei se souvient des contes que lui
racontaient la mère, autrefois, avec la princesse et le prince, transformé en
crapaud. L’homme qui lui a offert son soutien ressemble un peu à un batracien,
alors elle lui donne un baiser sur le front. Mais ce n’est pas cela qu’il veut.
Ce n’est pas suffisant. Suant et ahanant, il l’entraîne dans une ruelle, tente
de soulever sa jupe. Lorelei hurle, se débat, échappe à son étreinte adipeuse.
Terrifiée, l’enfant court, court le plus vite possible
pour lui échapper. Elle va à l’aveuglette, au hasard des avenues saccagées.
Quand elle s’arrête, le tonnerre gronde. De grosses gouttes de pluie commencent
à tomber. Elle regarde autour d’elle, ne sait pas où elle est.
Pour se donner du courage, elle reprend sa comptine
préférée.
Sie stellt sich gar freundlich, ô Hänsel welche
Not!
Ihr wollt sie braten im Ofen braun wie Brot...
Lorelei est perdue. Elle erre, seule, sans savoir comment
retrouver le chemin de sa maison. Des éclairs déchirent les cieux anthracite.
Les immeubles en ruine, les murs isolés se drapent de ténèbres. Et soudain, une
silhouette massive – homme ou bête, impossible à deviner – se dessine à l’angle
d’une ruelle, brièvement illuminée par la foudre.
*
Olga a croisé la logeuse, en allant rejoindre ses clients
au bar du quartier. La vieille femme, une sorcière au nez interminable et aux
doigts crochus, lui a dit en ricanant que l’infirme du cinquième s’était enfin
décidé à mettre la gamine au turbin. Comme Olga ne comprenait pas, la logeuse
lui a expliqué : la blondinette était partie, de bon matin, cheveux aux
vents, serrée dans une robe qui faisait voir ses seins.
Olga, affolée, a laissé tombé soldats, cigarettes, espoir
de ferre un gros poisson. N’écoutant que son cœur – et ses remords – elle s’est
précipitée à la recherche de la fillette. Elle a erré toute la nuit, sous
l’orage et la pluie. Au lever du jour Olga, épuisée, découvre – hasard de la
destinée – un corps ensanglanté.
— Lorelei ! Lorelei ! s’écrie-t-elle en prenant
l’enfant dans ses bras.
Lorelei, mourante, regarde la jeune femme et fredonne.
Doch als die Hexe zum Ofen schaut hinein
Ward sie gestoßen von Hans und Gretelein
Die Hexe musste braten, die Kinder gehen nach
Haus,
Nun ist das Märchen von Hans und Grete aus...
Puis elle ferme ses yeux pour toujours.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire